Soignants : quand l’absentéisme devient le seul remède 2 décembre 2013 Santé Marie MEHAULT Temps de lecture : 5 minutes« L’hôpital est le secteur le plus touché par l’absentéisme ; il y est deux à quatre fois supérieur à celui des autres secteurs », avait rappelé Frédéric Kletz, maître-assistant à l’Ecole des Mines de Paris, en juin 2013 lors d’une conférence aux Salons de la Santé et de l’Autonomie. « Contrairement au secteur industriel, où il stagne, il continue à augmenter à l’hôpital« , avait ajouté cet auteur d’un ouvrage spécialisé sur la gestion du personnel à l’hôpital. A Roubaix, comme pour montrer, six mois plus tard, que cette étude est plus vraie que jamais, le personnel infirmier est en grève, en cette fin d’année. Au service des Urgences de l’un des hôpitaux publics les plus fréquentés de France, le personnel a baissé les armes. Au comptoir de l’accueil, un drap étendu comme une banderole annonce la couleur : en noir, il est tracé en grosses lettres le slogan « effectifs en berne, urgences en grève ». A l’appel du syndicat Force Ouvrière, les soignants ont préféré se passer du salaire qui leur aurait permis de payer les jouets de Noël à leurs enfants. Ils ont besoin d’être écoutés. Il faut donc frapper fort. Dans ce service d’urgences qui reçoit 20 à 30 000 patients par an, dont près de la moitié d’enfants, il manque l’équivalent temps plein de quasiment 8 personnes. C’est ce dont fait état le dernier recensement interne, effectué le 21 novembre 2013. « Chaque année, le personnel effectue entre 3 et 5000 heures supplémentaires ! On est clairement dans un cas de « burn-out» général, et les changements d’horaires et de rythmes ne font qu’empirer les choses », explique le représentant de Force Ouvrière, Denis Leroy. « Il n’y a aucune stabilité du temps de travail ! ». Le cas roubaisien n’est, hélas, que l’exemple exacerbé du malaise qui commence à contaminer l’ensemble des établissements de santé publique. Partout, l’absentéisme est un mal qui ronge les troupes, de plus en plus violent. Et, à mesure que le taux d’absents augmente, ceux qui restent sont condamnés à en faire toujours plus, et finissent par craquer à leur tour. Faute de moyens, budgets serrés, contraintes administratives et restrictions des coûts obligent : les absents sont de moins en moins remplacés, ou alors au coup par coup. Et comme l’absentéisme à l’hôpital concerne essentiellement des dépressions nerveuses, donc des maladies à long terme, il devient impossible de tenir avec des effectifs aussi restreints. A Roubaix, ces derniers jours, « une infirmière a été amenée à occuper trois postes en parallèle : déchoquage, circuits courts et ‘lits porte’ », témoigne un représentant du personnel dans la presse locale. « Que faudra-t-il accepter après ? Tout le monde est rincé et cela risque de poser de graves problèmes pour la sécurité des patients. » A Ivry, dans le Val-de-Marne, même scénario : c’est la CGT, cette fois, qui a appelé à la grève la semaine dernière, pour protester contre les « mauvaises conditions de travail ». Le syndicat dit s’inquiéter pour le personnel soignant, « épuisé, en grande souffrance morale et physique. Avec la sensation récurrente d’être non efficace, voire maltraitant dans sa prise en charge envers les patients ». Congés maternité, arrêts maladies, accident du travail, maladies professionnelles, formation continue : depuis six mois, les absents ne sont plus remplacés dans la plupart des Centres Hospitaliers Français. Les directions préfèreraient, selon ce qu’elles laissent filtrer à la presse, attendre les sorties d’étudiants fraîchement diplômés des facultés et des écoles, plutôt que de recourir à un intérim aléatoire et très coûteux. Résultat : partout, un sous-effectif chronique « qui dégrade la prise en charge et la sécurité des patients ainsi que celle du personnel», ajoute la CGT de l’hôpital d’Ivry, qui a interpellé les usagers de l’établissement et les familles dans une lettre ouverte. Partout, comme une tâche d’huile, les mouvements de colère s’étendent. A Clermont, dans l’Oise, le personnel était en grève début novembre… mêmes causes, mêmes effets. « Je comprends qu’une réorganisation des horaires de travail puisse susciter de l’inquiétude, de la réticence », indiquait alors le directeur du CHI, François Leclercq. « Mais aucune des directions de France n’agit contre le personnel. Il nous faut aujourd’hui repenser tout un mode de travail au service du patient, dans un contexte financier difficile. » Ce qui a mis le feu aux poudres ? Pour diminuer le nombre de RTT annuel et faire face au problème de l’absentéisme, les agents se sont vus proposer de travailler un quart d’heure de moins par jour, ce qui les aurait obligés à travailler entre 8 et 15 jours de plus par an. « En clair, on nous propose de guérir un personnel en souffrance en le faisant travailler davantage ! », s’est épanché Alain Mougas, secrétaire général de la CGT au CHI de Clermont. « Le taux d’absentéisme est aujourd’hui de 14 %. Ce n’est pas en réduisant le temps de travail quotidien de 15 minutes que cela va changer quelque chose. Nous ne sommes simplement plus assez nombreux pour venir à bout de la charge de travail. » Pourtant, l’étude menée par les écoles des Mines de Paris et Nantes et les universités de Nantes et Rouen, basée sur plus de 500 entretiens réalisés entre 2009 et 2012, conclut qu’une meilleure organisation du travail peut très efficacement réduire l’absentéisme à l’hôpital. Ainsi, ce ne sont pas, par exemple, des problèmes de dos, des troubles musculo-squelettiques ou la pénibilité du travail qui sont invoqués dans les arrêts maladie des absents, mais dans la majorité des cas, c’est simplement un sentiment d’impuissance face à des méthodes de gestion du personnel qui les dépassent. Ainsi, des cadres en « perpétuelles réunions », que leurs agents aimeraient voir revenir davantage sur le terrain. Ou encore, un personnel qui se sent sur-sollicité pour pallier aux non-remplacements des collègues. Alors que dans les établissements où une charte a été signée pour ne pas dépasser certaines limites (par exemple, ne pas considérer les soignants comme interchangeables d’un service à l’autre), les présents font paradoxalement preuve de beaucoup de bonne volonté pour aider à combler les lacunes. Plusieurs méthodes ont été testées de manière pilote par le CHU de Rouen : entre 2003 et 2011, le taux d’absentéisme y avait explosé. Entre 2012 et 2013, l’hôpital a réussi à inverser la tendance. La mesure la plus efficace, selon le personnel ? Un engagement systématique de maintien à l’emploi pour les agents revenant d’un arrêt de maladie supérieur à six mois. Ce qui évite, notamment, que les services envoient leurs agents abîmés ailleurs. Et les incite à améliorer les conditions de travail ou à résoudre les difficultés en interne. Un enjeu important, lorsqu’on sait que chaque année, en moyenne, l’absentéisme coûte dans les 24 millions d’euros par établissement. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT