Ecotaxe : les bonnets rouges bretons en font-ils trop ?

6 janvier 2014 Transport 6 Comments Marie MEHAULT
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« Ras la coiffe, le changement c’est nous ! ». Voilà ce que l’on pouvait lire, par exebonnets rougesmple, ce dimanche 5 janvier 2014 sur les pancartes des Bonnets Rouges bretons, à nouveau mobilisés contre l’écotaxe, dans l’après midi. Une manifestation symbolique sur les ponts bretons, pour refuser en bloc le Pacte d’Avenir pour la Bretagne proposé par le gouvernement, et réclamer à nouveau haut et fort leur droit à la gratuité des routes en Bretagne. Un droit remis en cause, selon eux, par le principe de l’écotaxe… projet reporté sine die par le gouvernement, mais pas supprimé.

A en croire le collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne », ce pacte d’avenir serait en effet un « écran de fumée », un « pacte griffonné dans l’urgence par des cabinets parisiens ». Après la trêve des confiseurs, les bonnets rouges reprennent donc du service, pour se faire entendre et rappeler qu’ils n’ont pas l’intention de baisser la garde. « Les bonnets rouges ont pris la grosse tête, elle ne rentrera bientôt plus dans leur couvre-chef ! » s’exclame un artisan de Quimper, ex-bonnet rouge et qui souhaite rester anonyme après avoir quitté ce mouvement en lequel il ne  croit plus. « Ils se prennent pour les nouveaux sans-culotte, mais ils ne savent même pas ce qu’ils veulent. Sans titre3On leur propose des solutions, ils refusent en bloc, ne négocient même pas. Ce qui les branche c’est qu’on parle d’eux dans les médias, mais construire demain concrètement, ça, la plupart s’en foutent. Y’a que le buzz qui les intéresse ! ».

Un témoignage qui n’y va pas avec le dos de la cuillère… mais qui semble pourtant partagé par beaucoup des personnes ayant accepté de nous répondre, à la condition expresse qu’on ne révèle pas leur identité. « Les leaders des Bonnets rouges ne sont pas tendres », reconnaît une adhérente du mouvement. « Si on n’est pas avec eux, on est contre eux. Et ils iront jusqu’au bout. Qui ne les suit pas leur déclare la guerre ! ». Ce qui est sûr, c’est que le mouvement s’est organisé, avec la création de comités locaux dans plusieurs villes de Bretagne. « Il y a aujourd’hui une quarantaine de comités locaux dans les cinq départements de la Bretagne historique, incluant la Loire-Atlantique », a précisé Christian Troadec, l’un des porte-parole du mouvement. « Mais à terme, nous espérons avoir une centaine de comités, voire 200 ! ». « La preuve que le mouvement vient de la base, et que nous ne sommes pas une mafia jacobine, comme certains voudraient le faire croire ! », nous confie un bonnet rouge rencontré lors de la dernière grosse manifestation, à Carhaix, fin novembre 2013, Sans titre1et que nous avons joint par téléphone ce 5 janvier.

D’ailleurs, le mouvement initial avait emporté une large sympathie dès ses débuts, en Bretagne mais aussi partout en France. La mise à terre des portiques écotaxe, à l’heure où il était encore question qu’elle entre en vigueur début janvier 2014, c’est à dire ces jours-ci, avait globalement obtenu l’indulgence (à défaut d’adhérence) des professions de la route majoritairement concernées par ce nouvel impôt. Désormais, le mouvement semble de plus en plus décrié. Comme s’il avait progressivement changé de visage, et que les transporteurs ne s’y reconnaissaient plus forcément. « Au départ, on avait l’impression qu’ils se mobilisaient pour toutes les professions concernées par l’écotaxe, dans toute la France, les salariés aux côtés des patron, tous unis contre l’Etat central », explique Daniel, un routier habitué des routes du grand Ouest, mais qui vit à Lille, dans le Nord de la France. « Aujourd’hui, on a le sentiment qu’ils se sont complètement repliés sur eux-mêmes, dans une espèce de logique de classe régionaliste, avec pour seule revendication l’indépendance, ou en tout cas l’autonomie de la Bretagne. Ils n’en ont plus rien à foutre de l’avenir des professions de la route en France. Enfin, c’est ce que je ressens. »

Les fédérations de routiers  ne cautionnent plus du tout les actions des bonnets rouges : « Il y a bonnet rouged’autres manières de manifester que ce qu’ils font. On peut manifester dans le calme on sait très bien que si on veut, on peut bloquer la France en une semaine et on sera entendu », poursuit Daniel. « Le Nord aussi a payé le prix fort avec la fermeture des mines, des usines textiles et la saignée de la sidérurgie. Aujourd’hui c’est l’industrie automobile qui se casse la gueule… La Lorraine aussi a souffert ! Dans ces régions, nous avons crié notre peine, notre colère et notre révolte mais nous sommes restés dignes et nous avons retroussé nos manches. » Les transporteurs craignent de plus en plus un amalgame, qui conduirait à les associer à des casseurs de portiques. Même s’ils sont toujours aussi remontés contre l’écotaxe. Et même si eux aussi, souhaitent l’abrogation pure et simple du projet, et non pas son report permanent comme une épée de Damoclès toujours là, au dessus de leurs têtes.

Marie MEHAULT