Don d’organes : familles de donneurs, receveurs et soignants témoignent 25 juin 2015 Santé Marie MEHAULT Temps de lecture : 8 minutesC’était la journée mondiale du don d’organes, ce lundi 22 juin 2015… L’occasion, une fois encore, de revenir sur l’importance de ce sujet, dont nous vous avons déjà parlé dans ce blog. Mais aujourd’hui, place à la parole des premiers intéressés : les donneurs, les receveurs, et les soignants. Les premiers, par la voix de leurs proches, ont sauvé des inconnus, par le don. Les seconds ont frôlé la mort, et peuvent aujourd’hui retrouver une existence presque normale, grâce à un « oui » qui a tout bouleversé. Les derniers, enfin, ont choisi de consacrer leur carrière à un domaine médical et scientifique en perpétuelle évolution, à la frontière, aussi, des questions éthiques liées à la vie et à la mort. En avril dernier, Jean, un patient de 47 ans atteint d’une leucémie, a enfin pu recevoir une greffe de moelle. Il aura attendu 18 mois. Il n’oubliera jamais ce jour où on lui a appris qu’enfin, il allait pouvoir bénéficier de l’opération qui allait, littéralement, le ressusciter. « On se dit qu’on va enfin avoir la chance de peut-être guérir. Jusque là, j’attendais sans savoir où j’allais, je me préparais à la mort, on y pense forcément, tous les jours. Et puis est venu ce moment où on m’a dit que j’allais avoir la possibilité d’être greffé… C’est un sentiment d’une puissance inexplicable ». Aujourd’hui, comme les autres greffés, Jean doit continuer son combat contre la maladie. Mais l’espoir est là, à nouveau, de s’en sortir bientôt. Dans le centre de convalescence où l’on gère la prise de ses traitements, la surveillance médicale de ses perfusions, et où il peut se réunir et échanger avec d’autres greffés, afin de se sentir moins isolé, les soignants sont « extraordinairement impliqués », ce sont ses mots. C’est le Professeur Frédéric Collard qui l’a opéré. Ce médecin, mondialement reconnu dans le domaine des greffes d’organes, opère en moyenne 3 personnes par jour. Dans son service, une trentaine de patients sont greffés du cœur chaque année. Mais il avoue être préoccupé par le manque de donneurs potentiels, et frustré aussi, « parce que c’est souvent à cause du manque d’information dans les familles ». « Il ne s’agit pas de culpabiliser les gens en leur disant ‘il faut que vous donniez vos organes’, il s’agit simplement d’agir, en France, pour que tout un chacun puisse se positionner clairement, en son âme et conscience, auprès de ses proches, afin que, si un jour, espérons le plus tard possible, il y a un souci, il n’y ait pas de débat, que les proches comme les soignants sachent exactement et immédiatement ce qu’il en est, et que la volonté du disparu soit respectée, car sa position sera connue. Aux Etats-Unis, le jour où vous passez votre permis de conduire, on vous le demande d’office, et c’est inscrit sur votre permis de conduire. C’est tout bête, mais en France, cela fait dix ans qu’on essaie de mettre cela en place… et on n’y arrive pas ». Car en France, 20 000 personnes sont en attente d’un don. Un nombre qui ne cesse d’augmenter, car les techniques s’améliorent, et les greffes sont de plus en plus recommandées. D’autant que les traitements immunosuppresseurs qui diminuent les risques de rejet sont de plus en plus efficaces. Mais si la « demande » est de plus en plus forte, l’ « offre » stagne, et même, certaines années, diminue. Bien sûr, personne ne peut souhaiter que des morts surviennent pour sauver des vies. Mais le nombre de dons est très en deçà du nombre de décès réel, et si chaque défunt donnait ses organes, rien ne serait pareil pour les malades qui attendent, désespérément, voyant l’aiguille tourner, sans que rien ne se passe. Parce que les listes d’attentes sont longues, parce qu’il faut être compatible, parce que beaucoup de familles refusent l’idée du don d’organe de peur de ne pas respecter la volonté d’un disparu qu’elles pleurent, et dont elles ignorent la position de son vivant. Tous les lundi, mercredi et vendredi, de 18 heures à 23 heures, Jacques, 51 ans, se rend à l’hôpital pour y être dialysé, dans l’attente d’une greffe de reins. « La première année, je n’y croyais pas du tout, je m’y refusais, je savais que c’était statistiquement impossible, vu la liste d’attente… deuxième année, pareil, je me refusais à y croire. Troisième année, intérieurement, je commençais à y penser, de plus en plus… Aujourd’hui, ça fait six ans, il ne se passe toujours rien, et pour moi, c’est devenu une obsession. J’ai toujours le téléphone à côté de moi, je me dis que ça va venir, je n’ai pas le choix, sinon autant me suicider tout de suite. C’est trop dur. Surtout que je me suis rendu compte d’une chose, c’est que plus on se focalise sur l’attente, plus c’est long. Mais comment faire autrement ? Ma vie est un enfer ». Chantal, 32 ans, greffée du cœur, a connu cette sensation, celle d’être suspendue entre la mort, possible, et la vie, possible aussi, à condition qu’un don survienne. Elle nous avoue aujourd’hui avoir elle aussi pensé à se donner la mort, exténuée moralement et physiquement. Et puis, in extremis, le coup de fil tant espéré est arrivé. Un après-midi d’automne, son interlocuteur à l’autre bout de la ligne lui annonce qu’un greffon est enfin disponible. Des examens complémentaires sont nécessaires, ils prennent quatre heures. « Ces quatre heures là ont été les plus longues de ma vie ! J’ai essayé de m’occuper, de voir avec mon travail comment organiser mon absence, mais l’appel ne venait pas, cela m’a semblé interminable. J’ai décidé à ce moment là que si ça tombait à l’eau, je ne voulais plus vivre. Et puis finalement, le coup de fil est arrivé. C’est fou comme on s’attache à un téléphone, quand on attend une greffe ! Les résultats des examens étaient positifs. J’ai cru que j’allais faire une crise cardiaque tellement la joie était intense ! ». Les médecins, sont bien conscients de ces sentiments contradictoires et éprouvants, chez leurs patients. « Chantal a attendu 5 ans, c’est vrai que c’est très long. Mais elle vit en Ile-de-France, l’une des régions où la pénurie de donneurs est la plus importante, et où les patients en attente sont aussi plus nombreux. L’autre raison de cette attente, c’est que Chantal est jeune, et que les patients jeunes inscrits sur les listes d’attente sont défavorisés par rapport aux plus âgés, parce qu’en fait on a essentiellement des greffons issus de donneurs de 60 ou 65 ans, et qu’on ne veut pas greffer des patients jeunes avec des organes trop âgés par rapport au reste de leur corps », explique la chirurgienne qui l’a transplantée. Quelques heures avant la greffe, Chantal parle aussi d’un sentiment de plénitude difficile à expliquer. « Je n’étais pas du tout stressée, très sereine, aucune inquiétude. De toute façon cela ne pouvait déboucher que sur quelque chose que j’attendais : soit la mort, comme délivrance, soit une nouvelle vie ! J’étais impatiente ». Aujourd’hui, son nouveau cœur, Chantal en prend soin. « Je fais du sport, je mange sainement. Certes, c’est ma vie, mais cet organe, je lui dois du respect, en hommage à la personne qui me l’a donné ». Parfois, on peut donner de son vivant, et cela, trop de personnes l’ignorent aussi. Coline, 35 ans, témoigne : « Le 23 juillet 2013, cela fait deux jours que j’étais en vacances quand l’Etablissement Français du Sang de Besançon m’a appelée pour un don de moelle osseuse ! Je m’étais inscrite comme donneuse six ans auparavant, en 2007. A l’autre bout du fil, mon interlocuteur m’a demandé si j’étais toujours d’accord, car un malade pourrait avoir besoin de mon don. Je suis retournée au CHU pour vérifier que j’avais bien tout compris sur l’engagement, et j’ai donné un échantillon de sang pour affiner la compatibilité. J’ai aussi prévenu mes employeurs de la possibilité de m’absenter quelques jours pour le don. Je pensais être mal reçue, bien au contraire : ils m’ont posé des questions et se sont montrés très intéressés, ils ne connaissaient pas cette possibilité de donner sa moelle. Finalement, la compatibilité a été confirmée au bout de deux mois, mais je ne n’ai pas été choisie. Je ne dirais pas que j’ai été déçue, mais j’aurais aimé pouvoir contribuer à sauver une vie, et soulager toute une famille. Ce n’est pas rien ! Et qui sait, peut-être que le fait d’en avoir parlé entraînera de nouvelles inscriptions sur le fichier des donneurs. Sur l’échelle d’une vie ce n’est pas grand-chose, mais pour celui ou celle qui attend c’est tellement énorme, alors il faut foncer ! ». Monique, elle, livre ce magnifique témoignage du don d’organes auquel elle a dit oui, après avoir perdu sa fille. « Julie avait 19 ans … un matin de verglas, c’est l’accident. Chacun peut imaginer le choc, l’horreur de la situation. Elle n’a pas pu être sauvée. Le don d’organes, on en avait parlé avec Julie, et elle avait répondu avec la plus grande sincérité, ‘si ça peut sauver des vies…’ C’était si simple et si évident pour elle ! Je la regardais sur son lit, elle était si jolie, elle semblait nous dire ‘donnez’, tout comme elle donnait ses vêtements quand on triait les placards. Honnêtement, c’est un peu trivial mais c’est vraiment ça, il n’y a rien de grandiose, c’est juste aussi simple : ‘moi ça ne me sert pas, alors que ça peut être très utile à d’autres’. Mais on n’avait pas imaginé que même quand on veut, parfois on ne peut pas donner. Nous avons assisté à cet étrange combat antinomique que livraient les médecins, pour prouver qu’elle était cliniquement morte, et la ‘maintenir’ pour que le don soit possible. Julie n’a pas pu donner son cœur, mais ses 2 reins et son foie ont permis de sauver plusieurs enfants, parce que ces dons vont en priorité aux enfants. Le lendemain du prélèvement, j’ai pleuré de chagrin, mais je m’imaginais quelque part des mamans qui pleuraient de joie dans un autre hôpital où leurs enfants allaient être greffés … 4 vies pour une vie qui s’en va ! Julie était en 1ère année de médecine, si passionnée, elle aurait sûrement fait beaucoup pour soigner ou sauver les autres. Elle n’en a pas eu le temps, mais finalement, elle aura sauvé 4 vies … Plus que nous ne ferons jamais, nous, dans nos longues vies … tout simplement ». A l’Institut Paoli Calmette de Marseille, où chaque jour la recherche progresse, le don d’organes est au cœur du quotidien des soignants et des chercheurs du service d’oncologie et d’hématologie. Chaque jour, chaque semaine, une petite victoire, une découverte, une avancée, permettent d’améliorer la réussite des transplantations et de redonner espoir à des malades. Par exemple, grâce aux avancées de la recherche, désormais la greffe de moelle est devenue une réalité beaucoup plus tangible pour des patients atteints de leucémie, alors qu’elle était autrefois si difficile à réaliser : « Grâce aux travaux de ces dix dernières années, on s’est aperçus qu’on pouvait réaliser des greffes à partir de donneurs qui n’étaient pas totalement compatibles, à partir du moment où ils étaient membres de la famille et donc partageaient un certain degré de patrimoine génétique avec le patient », explique le Professeur Didier Blaise, de l’Unité de Transplantation et de Thérapie Cellulaire. En France, 5000 greffes sont réalisées chaque année… Des prouesses techniques impossibles, sans les dons. Lire aussi : Don d’organes : faut-il se passer du consentement des familles ? Organes artificiels : la révolution ! Don d’organes : les professionnels de santé ne savent-ils pas s’y prendre ? Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT