Insécurité dans les transports publics : légendes urbaines… et réalités 4 juin 2014 Transport 0 Comments Marie MEHAULT Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Temps de lecture : 6 minutesL’insécurité dans les transports en commun : un « gimmick » dans les médias français, qui fait régulièrement la Une des journaux télévisés et les gros titres des quotidiens. En particulier ces derniers mois, marqués par des élections municipales et européennes où le discours sécuritaire était omniprésent. Pourtant, il y a les faits… et il y a les fantasmes. Les transports en commun français ne sont, selon les chiffres en tout cas, pas si dangereux qu’on voudrait nous le faire croire. Évidemment, lorsqu’un fait divers sordide apparaît pendant plusieurs jours en exergue dans le haut de tableau de l’actualité, le ressenti des Français s’en trouve fortement impacté. Comme ce jour de la fin avril 2014, où une jeune lilloise est sexuellement agressée dans le métro, face à l’indifférence de dizaines de passagers. Ou comme l’affaire Tavernier, en octobre 2000, du nom de Franck Tavernier, ce père de famille de 23 ans tué de plusieurs coups de couteau dans une station de métro à Roubaix, sous les yeux de sa petite fille. Après cette affaire, la région Nord-Pas-de-Calais avait financé un plan de 38 millions d’euros pour installer des caméras de vidéosurveillance et embaucher plus de 400 agents de sécurité entre l’année 2000 et l’année 2002 : en vain. 14 ans plus tard, rien n’a, semble-t-il, changé. « Le problème », explique un agent de transport Transpole (la société de transports publics lillois), « c’est que les policiers qui devraient être affectés au transport sont presque systématiquement affectés ailleurs par les préfectures. Et nos médiateurs refusent d’aller dans les stations les moins bien réputées… qui, pire que d’être dangereuses, deviennent carrément des zones de non droit où les voyous savent qu’ils ne seront pas dérangés ». « Difficile de ne pas être touché par le témoignage de cette jeune Lilloise, qui a du se protéger seule malgré la présence de 10 autres passagers », reconnaît Frédéric Fèvre, le procureur de la République de Lille. « Ce que cela révèle, c’est que la société d’aujourd’hui est de plus en plus individualiste. On préfère détourner le regard ». Les 3600 caméras dans les bus, métros et tramway n’ont pas empêché non plus une agression homophobe au début du mois de mai 2014, par un homme qui s’est servi d’une bouteille de vodka comme arme. Dans plusieurs régions, notamment l’Île-de-France, les interpellations de voleurs à la tire ont aussi bondi : + 30 % depuis le début de l’année 2014, selon la préfecture de police de Paris. Plus de 4200 voleurs ont été arrêtés en 2013 dans les réseaux de transport parisiens. Et déjà 1323 dans les quatre premiers mois de l’année 2014. Désormais, selon le dernier sondage Ifop, un Français sur deux se sent en insécurité dans les transports publics. Les femmes, et les jeunes de moins de 25 ans, se disent les plus inquiets. Une femme sur deux et un jeune de moins de 25 ans sur deux déclarent ne pas prendre les transports en commun tard le soir, et veiller à ne pas se trouver seul dans un wagon où une rame de métro. Sur la ligne 4 du métro parisien, direction porte de Clignancourt, nous rencontrons ainsi Bérengère, 18 ans, qui ne se sépare plus de son spray d’autodéfense. « C’est mon oncle qui me l’a offert, je suis étudiante en droit et je rentre souvent tard, ça rassure ma famille et mon amoureux. Je pense aussi m’inscrire à des cours d’autodéfense ». Dans une enquête dite de « victimation » menée par l’INSEE, sur 34 672 personnes interrogées, une sur cinq déclare avoir déjà été victime d’une agression verbale ou physique. Une agression sur deux s’est produite dans le métro, le RER ou le train. Une sur quatre s’est produite dans une gare ou sur un quai de métro. Les hommes sont plus souvent exposés aux vols avec violences et aux menaces, les femmes plus souvent victimes d’agressions à connotation machiste ou sexuelle. Pourtant, il semblerait que l’ampleur du sentiment d’insécurité qui ressort de toutes ces enquêtes, doive malgré tout être largement nuancé. D’abord, « il faut distinguer le sentiment d’insécurité et la délinquance réelle », explique Marion Guillou, chercheuse en psychologie sociale et auteur d’une étude sur « Le sentiment d’insécurité et les comportements de vigilance des clients et des non client dans les espaces de la SNCF ». « Les mécanismes du sentiment d’insécurité sont construits à partir de la perception sociale du risque. Chaque individu forge son sentiment en fonction de ses valeurs, de son éducation, de ses lectures, de ses échanges, de son écoute des médias… Au contraire de cette perception sociale du risque, l’expert s’appuie, lui, sur un vrai savoir statistique. » Ainsi, le rapport est finalement assez faible entre le ressenti des Français, et la réalité explicite révélée par les statistiques de l’État, les données des opérateurs de transport, le recensement policier des faits, les dépôts de plainte, les signalements et les enquêtes… l’Observatoire national de la délinquance dans les transports (ONDT) a donc pour mission d’étudier scientifiquement le phénomène, afin de mieux parvenir à mesurer les choses et de pouvoir formuler des propositions permettant de mettre en œuvre, enfin, des politiques ciblées, qui soient efficaces sans céder à toutes les sirènes de « l’insécurité dans les transports ». L’ONDT a donc mis en place une « nomenclature nationale des faits d’insécurité » dans les transports. Et l’Observatoire a également mis en place des procédures lui permettant de coupler les chiffres de la SNCF et des opérateurs régionaux de transport en commun. Quatre catégories de faits peuvent, selon l’organisme, être comptabilisés : les atteintes avec violence physique sans vol, les atteintes sans violences physiques (menace, intimidation, injures, crachats…), les atteintes sexuelles et enfin les vols commis avec violence et/ou sous la menace. Les statistiques sont présentées en ratio par millions de voyages, ce qui permet de relativiser objectivement le ressenti négatif d’un voyage qui s’est mal passé et qu’on va ressasser sans fin, par rapport aux dizaines ou centaines d’autres voyages effectués sans encombre, et aussitôt oubliés. Ramené à l’immensité des flux, l’union des transports publics et ferroviaires UTP recense en effet à peine 0,38 agression par millions de voyage. « Cela relativise les choses », rassure Jean Yves Taupin, directeur de la sécurité au sein de Keolis. Après la progression sensible de 2010-2012, on enregistre une stabilité. « Il y a une tendance à l’amélioration », constate Bernard Rivalta, président du syndicat des transports de l’agglomération lyonnaise, tandis que les forces de l’ordre notent aussi une évolution favorable (-4,2 % en 2012.) Selon les études psychologiques sur le phénomène, il ressort aussi que l’on n’a pas peur de la même manière ni avec la même intensité, selon le mode de transport emprunté. Ainsi, les enquêtes d’opinion montrent que plus l’on est dans un transport souterrain, plus on angoisse, et inversement. Même chose selon le nombre de stations desservies et la ponctualité des transports empruntés. Résultat : les Français ont plus peur dans le RER que dans le métro, dans le métro que dans le train, dans le train que dans le bus, et dans le bus que dans le tramway, considéré par une large majorité comme le transport le plus sécurisant. Enfin, nombreuses sont les personnes interrogées qui se considèrent comme « agressées » dans leur réponse, simplement parce qu’elles ont constaté un « manque de politesse », une « incivilité » ou de la fraude dans les transports. Ce qui n’a, sur le fond, tout de même rien à voir avec les agressions comptabilisées dans les statistiques officielles de la police et de la gendarmerie, qui se fondent uniquement sur les plaintes. Or, la grande majorité des plaintes enregistrées ne concerne pas des faits de grande violence… mais des vols de portable, tout simplement parce que le dépôt de plainte est nécessaire pour pouvoir être indemnisé par son assurance ! Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT