Grèves SNCF : le vrai pouvoir de nuisance des cheminots 18 juin 2014 Transport 2 Comments Marie MEHAULT Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Temps de lecture : 4 minutesIls sont convaincus de se battre pour des valeurs, et pour l’intégrité du service public en lequel ils veulent continuer à croire. Après plus d’une semaine de grève à la SNCF, les personnels au sol comme les personnels roulants sont encore extrêmement mobilisés, tous syndicats confondus (CGT, SUD RAIL, FO, UNSA et CFDT) mais aussi beaucoup de non syndiqués, qui se mobilisent par conviction, au-delà de toute étiquette. Selon la direction de la SNCF, le pourcentage de grévistes ne cesse de diminuer de jour en jour et pourtant, dans la réalité des usagers, les perturbations sont toujours aussi gênantes, et nombreuses. Les cheminots ont-ils conscience de leur pouvoir de nuisance ? En jouent-ils avec délectation ou, au contraire, culpabilisent-ils de mettre autant de monde dans la galère ? Cette grève se fait-elle à contre cœur, parce qu’il n’y a pas d’autre solution, parce que les enjeux sont cruciaux… ou, au contraire, est-ce la grève de trop, celle que personne ne comprend vraiment, celle pour laquelle il est difficile d’avoir de la sympathie parce que les usagers n’en peuvent plus d’être pris en otages entre les protagonistes d’un conflit qui ne les concerne pas et dont les motivations sont extrêmement complexes ? « En politique, le mot puissance ou pouvoir veut dire une capacité de nuisance : si vous ne l’avez pas, vous ne serez pas écouté du pouvoir politique », explique Bertrand Lemenicier, Professeur de Sciences Economiques à l’Université Paris Panthéon Assas. « Chaque groupe de pression s’efforce d’influer la représentation parlementaire et les partis politiques pour obtenir que ces règles se fassent à leur avantage. Il en est ainsi du droit du travail qui se fait au seul bénéfice de groupes de pression politiquement puissants : les syndicats et les corporations ». Sauf qu’en continuant le mouvement le lundi 16 juin, premier jour des épreuves du baccalauréat, et toute la semaine des épreuves les plus importantes, les cheminots sont peut-être allés trop loin. Leur cote de sympathie a été fortement entachée par un jusqu’au-boutisme qui, lorsqu’il commence à nuire aux plus jeunes dans une des étapes les plus importantes de leur vie, ne peut plus être cautionné par personne. « Si, nous, nous les soutenons ! » s’exclame une professeur de philosophie, dans un lycée lillois. Communiste, elle fait partie du mouvement des 35 professeurs de philosophie qui ont mis en ligne sur internet une pétition pour soutenir les « cheminots en lutte » : « Professeurs de philosophie, nous agissons depuis des années pour défendre, entre autres, nos conditions de travail lourdement dégradées et pour obtenir une organisation du baccalauréat qui soit digne de son statut de premier grade universitaire. Et nous avons le sentiment d’avoir en face de nous les mêmes obstacles austéritaires et les mêmes contre-réformes euro-libérales que celles que dénoncent aujourd’hui les cheminots grévistes. C’est dire que nous apprécions peu la tentative d’opposer les grévistes du transport aux personnels et aux usagers de l’Education nationale ! », écrivent ainsi les enseignants. Mais ils sont bien isolés dans leur solidarité. Désormais, le cheminot est le « casse-pied public numéro un », aux yeux de l’opinion publique. « Ils représentent 0.0003% de la population, et ils paralysent un pays entier, pour préserver leurs petits intérêts égoïstes et leurs passe-droits totalement éculés et qui auraient du disparaître depuis longtemps ! » s’enflamme ainsi un usager, au bord de la crise de nerfs, en train d’essayer un taxi de l’emmener de Paris à Nîmes après 4 trains successifs supprimés !!! Alors que les cheminots viennent d’entrer dans leur huitième jour de grève ce mercredi 18 juin, pas moins de cinq associations d’usagers viennent de s’unir pour crier haut et fort leur saturation face à ce mouvement qu’elles dénoncent violemment. Regroupées depuis lundi au sein d’une Coordination Nationale des Usagers du Train, elles demandent un retour immédiat à la normale, et s’insurgent contre le surcoût financier, les désagréments, les problèmes de sécurité engendrés par la grève, mais aussi contre les risques sanitaires liés à la tension nerveuse pour les usagers, et à la promiscuité insupportable et permanente dans des trains bondés et surchargés. « La grève pose désormais un problème de sécurité publique », estime Gérard Dupagny de l’association « A Fond de Train », basée à Bavay, dans le Nord de la France. « Le droit de grève n’est pas le droit de blocage et la SNCF doit imposer au minimum deux trains sur trois et non pas un train sur trois aux heures de pointe ! » Des associations qui espèrent pouvoir rencontrer cette semaine Frédéric Cuvillier, le secrétaire d’Etat aux Transports, pour « trouver des solutions à cette situation épouvantable » et savoir dans quelles conditions les usagers seront indemnisés. Guillaume Pépy, patron de la SNCF, a déjà indiqué que la grève avait pour l’instant coûté plus de 80 millions d’euros à la Compagnie. Dans le même temps, il a assuré les usagers d’un remboursement de 20 à 30% de leurs abonnements mensuels pour le mois de juillet, en guise de compensation, au final, la dette de la SNCF se creuse… « et c’est le contribuable qui en fera forcément les frais, d’une manière ou d’une autre » conclut Willy Colin, membre de l’Association des Voyageurs Usagers des Chemins de Fer (AVUC). Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT