La réforme du temps de travail à l’AP-HP retardée

6 janvier 2016 Economie Marie MEHAULT
Temps de lecture : 4 minutes

7Au printemps dernier, tous les syndicats luttaient ensemble contre la réforme du temps de travail à l’AP-HP, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris. Après six mois de conflit social, de manifestations et de grèves, la CFDT, troisième force syndicale du groupe, a quitté l’intersyndicale en septembre pour revenir discuter avec la direction. Après cinq semaines de négociation marathon, enfin, un accord surprise a été signé le 27 octobre 2015 : « Nous avons choisi de le faire dans le cadre du dialogue social », explique Gérard Cotellon, directeur de cabinet de Martin Hirsch, lui-même directeur général de l’AP-HP. « Nous ne souhaitons pas de passage en force. Nous avons entendu, en l’occurrence, ce qu’avait à dire la CFDT, nous en avons tenu compte, et nous avons fait bouger notre projet ».

 

8Depuis le 1er janvier 2015, en théorie, les quelque 100 000 salariés non médecins de l’AP-HP ne peuvent donc plus travailler 7H50 par jour, ni prendre 24 jours de repos compensateur dans l’année. Pour eux désormais, la réforme prévoit 7H36 travaillées par jour et 18 RTT, et pour les nouveaux embauchés, 7H30 quotidiennes avec seulement 15 RTT. La direction veut ainsi économiser entre 5 et 9 jours de RTT par salarié.

 

12Mais pour l’instant, l’accord ne peut pas être appliqué. Car les syndicats non signataires ont demandé au CHSCT de diligenter une expertise indépendante complémentaire, menée en ce moment par deux cabinets, pour évaluer l’impact de la mesure sur les conditions de travail. « Nous sommes déjà pressurisés au travail, allez dans les services, vous verrez ! Ils sont déjà en sous-effectif ! Vous trouverez des infirmières qui tiennent deux étages, à elles toutes seules ! Donc imaginez ce que cela représente de leur enlever ne serait ce que trois jours de repos dans l’année… », s’insurge Rose-May Rousseau, secrétaire générale du syndicat CGT de l’AP-HP. Les experts disposent d’un mois et demi… On devrait donc connaître leurs conclusions mi février 2016.

 

4Et même si la direction n’est pas tenue de suivre les recommandations qui seront publiées, elle doit de toute façon patienter le temps que les choses se fassent dans les règles. La CGT, premier syndicat du groupe, entend ainsi continuer à peser dans le débat : « La guerre n’est pas perdue. Avec les attentats et l’état d’urgence, nous ne pouvons plus descendre dans la rue, et nous ne voulons pas que la direction en profite pour passer en douce. Nous ferons donc jouer la montre dans toute la mesure de nos possibilités, en utilisant les procédures réglementaires qui nous permettent de retarder une application concrète de la mesure dans notre quotidien », annonce Christophe Prudhomme, de la CGT Santé. « A l’heure où un médecin vient encore de se suicider à l’hôpital européen Georges Pompidou, ils marchent sur des œufs, de toutes façons ». Dans les couloirs des hôpitaux concernés, la tension reste palpable, aussi, au sein des autres syndicats non signataires, comme Force Ouvrière : « C’est un mauvais projet, signé sans accord majoritaire », explique Jean-Emmanuel Cabo pour le syndicat Force Ouvrière AP-HP.

 

1Plus de flexibilité, moins de RTT et de temps travaillé chaque jour, c’était « ça ou perdre 4000 emplois », explique la CFDT, accusée de traitrise par les autres syndicats : « Nous avons sauvé les meubles en négociant avec la direction», analyse Isabelle Chaumont-Huyet, secrétaire générale du syndicat CFDT de l’AP-HP : « Martin Hirsch allait de toute façon faire passer son projet, avec les 7H30 pour tout le monde, avec la suppression de la demie heure de repas pour tout le monde, aujourd’hui nous nous avons réussi à faire maintenir le schéma horaire de 7H36, et pour nous c’est une grande victoire. Ainsi que les 30 minutes de pause repas, ce qui représente 105 heures par an, soit trois semaines de congés, ce n’est pas rien ! ».

 

14En revanche, les journées de congés accordées aux femmes pour la fête des mères, qui représentaient tout de même 33 7666 journées en 2014, sont supprimées. Martin Hirsch, qui de son côté, assure qu’il n’y a  « ni vainqueur ni vaincu mais une réforme évolutive, équilibrée, substantielle, car aucune organisation syndicale ne peut aujourd’hui dire qu’elle a été ignorée. Nous disposons aujourd’hui de l’oxygène nécessaire pour éviter de sacrifier l’emploi au lit du malade ».

 

Le projet de la direction était d’économiser 20 millions d’euros par an dès 2016. Les contreparties accordées ne permettront finalement pas une aussi belle économie, et des suppressions de postes ne sont pas encore totalement à exclure. L’intérim à l’AP-HP risque, en revanche, d’en pâtir : il représentait jusqu’alors 600 000 heures de travail par an.

 

 

Marie MEHAULT