Harcèlement dans les transports : 100% des femmes victimes 23 avril 2015 Transport 3 Comments Marie MEHAULT Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Temps de lecture : 7 minutesC’est un phénomène de société dont on parle peu et pourtant : 100% des femmes se disent harcelées dans les transports en commun : c’est la conclusion choc d’un rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les hommes et les femmes, rapport remis au gouvernement ce jeudi 16 avril 2015, à l’occasion de la Semaine Internationale de Lutte contre le Harcèlement de Rue. C’est pourtant un acte de la vie quotidienne anodin, que de prendre les transports en commun pour se rendre au travail, aller faire des courses, en autobus ou en métro. Pourtant, 100% des femmes ne s’y sentent pas en sécurité, un chiffre alarmant dans notre société contemporaine et a priori civilisée. Regards malsains, insultes, sifflements, propos sexistes, regards lubriques, avances déplacées, baisers ou caresses forcés, exhibition, masturbation en public, et même parfois, des « frottements », des attouchements, quand cela ne tourne pas au drame : le viol pur et simple. En décembre 2014, le Comité National de Sécurité dans les Transports en Commun lançait de son côté un groupe de travail sur les violences faites aux femmes dans les transports, en partenariat avec la SNCF, la RATP, l’UTP (Union des Transporteurs Publics et Ferroviaires), et le GART (Groupement des Autorités Responsables de Transports). Là encore, le constat était alarmant : prévenir les violences sexistes, protéger les victimes et punir les agresseurs, représentent encore dans la France du 21ème siècle un vaste chantier, où tout, ou presque, reste à faire. Tant la prise de conscience est faible. Tant les moyens déployés sont quasi inexistants. Hélas, il suffit de recueillir des témoignages, ici et là, en autobus et dans le tramway, dans le métro parisien comme dans ceux de province : pas une seule femme interrogée, jeune ou moins jeune, qui n’ait une triste anecdote à raconter. Il y a un mois, Véra, jeune femme blonde à l’allure affirmée, style vestimentaire joyeux, coupe courte décolorée à la Marilyn, a eu affaire à ce que l’on appelle un « frotteur » : dans le métro de la capitale, à une heure de pointe, au vu et au su de dizaines de personnes voyageant à ses côtés… dont pas une n’a réagi. Car l’attitude générale est, dans ce cas de figure, le repli dans l’indifférence pour les témoins, la résignation et le silence pour 99% des victimes. Véra, elle, ne s’est pas laissée faire : « Il y avait tellement de monde, tout le monde était serré, mais là il se collait vraiment fort à moi. J’avais un décolleté, il était en train de regarder dedans, j’ai senti son érection sur mon bras… je l’ai poussé, je suis sortie, mais je me suis sentie sale toute la journée. Depuis je fais des cauchemars, j’ai des flashes… ça m’a marquée. Vraiment. Je ne prends plus jamais le métro ou le bus toute seule. Je préfère marcher ou faire du vélo. » Plus rien à voir, donc, avec de la séduction entre un homme et une femme, ou de la « drague » classique : c’est bien de harcèlement que l’on parle ici. Dans l’espace urbain, et en particulier dans les transports, les femmes de France, en 2015, restent victimes d’humiliations et même d’agressions. « Lorsque je me promène en couple, je n’ai pas de problème », confie Aurélie, une jeune trentenaire habitant Lille. « Mais dès que je m’aventure le soir, seule ou avec des amies, dans les bus ou les métros de la ville, le samedi soir par exemple, c’est comme s’ils avaient tous été piqués par une mouche. ‘Bonsoir Mademoiselle vous êtes seule ?’, ‘t’es ravissante, tu prends un verre ?’, c’est des compliments comme ça, au premier abord, mais ensuite, quand tu essayes de te débarrasser d’eux, ils te collent, ils insistent pour aller avec toi jusqu’au bout de ton trajet, ils descendent à la même station que toi,ils continuent à marcher avec toi dans les couloirs du métro,ils te mettent la pression pour que tu donnes ton numéro de portable, en te disant que t’es ‘bonne’, il y en a même qui te demandent si tu veux pas monter dans une chambre à l’hôtel ! Et plus il est tard le soir, pire c’est, parce qu’ils ont bu. C’est horrible, angoissant, oppressant, et je me sens dégradée, j’ai plus l’impression de pouvoir me promener librement, j’ai l’impression que je vais être harcelée à chaque fois que je prends les transports en commun ! ». « Nous ne cessons de tirer la sonnette d’alarme », indique Marilyn Baldeck, juriste, spécialisée dans la défense des femmes victimes de harcèlement sexuel et présidente d’une association qui s’y consacre. « Mais selon le code pénal, un homme ne peut pas payer pour tous ceux qui l’ont précédé, alors pour ce type de harcèlement dans la rue ou les transports, tout le monde est coupable, et personne en même temps. Certainement la raison pour laquelle aucune victime n’a jamais déposé plainte pour un acte isolé qui n’aurait pas été d’une réelle gravité. Or, pour moi, dès qu’une femme a fait comprendre qu’elle n’était pas intéressée une première fois, si ça recommence, si l’homme insiste, on est déjà dans le harcèlement à caractère sexuel. Le problème, c’est que les preuves sont difficiles à recueillir. Et pour compliquer le tout, il existe deux définitions du harcèlement selon la loi : le harcèlement sexuel avec des propos sur le physique, des commentaires graveleux, des mimes à caractère sexuel, des attouchements sur des parties non sexuelles du corps ; et puis des attouchements sur des parties sexuelles du corps et là, on passe dans la définition d’une agression sexuelle. C’est une usine à gaz ! Vous rendez-vous compte du nombre de choses que la victime va devoir prouver, pour obtenir réparation et répression de son agresseur ?! Même quand les faits sont graves, cela les décourage presque toutes de porter plainte, ou même de déposer une main courante ! En théorie, les injures à caractère sexuel dans l’espace public sont passibles de 22 000 euros d’amende et de six mois de prison, mais dans les faits, elles ne sont jamais sanctionnées, à la différence d’autres types d’insultes, à caractère raciste par exemple. Ces injures là sont considérées par le Ministère Public comme un trouble à l’ordre public, c’est-à-dire qu’on ne veut pas vivre dans une société où c’est possible. Alors que des femmes peuvent se faire insulter, harceler, tous les jours dans le métro, au même endroit, par la même personne… je ne connais pas de Procureur qui ait décidé de se saisir du problème pour que ce soit aussi considéré comme un trouble à l’ordre public ! ». La parade, la plupart du temps, pour les femmes qui se sentent harcelées dans les transports, c’est de tout faire pour passer inaperçues : pas de jupes, pas de talons, regard baissé… De « l’autocensure » anormale au regard du Haut Conseil à l’Egalité entre les Hommes et les Femmes, qui a donc décidé de se saisir du dossier. « Ces hommes qui se comportent comme ça pensent qu’ils peuvent le faire en toute impunité », explique Danièle Bousquet, présidente du HCEfh. « Lorsqu’ils vont apprendre que s’ils mettent la main aux fesses d’une femme ou qu’ils se frottent contre elle dans les transports publics, ou ailleurs d’ailleurs, ils seront passibles de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende, ils mesureront peut-être davantage la gravité de ce qu’ils font ». C’est en effet l’une des mesures préconisées par le HCEfh, avec des bornes d’urgence sur les quais des métros, et un numéro d’alerte, le 3117, qui pourrait être généralisé à l’ensemble des transports en France. La BRF, la Brigade des Réseaux Ferrés, pourrait aussi être renforcée, avec davantage d’enquêteurs en civil, dont le rôle est de traquer pickpockets et « frotteurs » dans les transports en commun. « Le pire, c’est la fin d’après-midi, vers 17H, sur les lignes les plus fréquentées, comme la ligne 4 du métro parisien, qui passe par tous les points névralgiques de la capitale, Saint Michel Notre Dame, Châtelet les Halles, la gare de l’Est, la Gare du Nord, tous les points d’intérêt pour touristes et travailleurs pressés… », explique l’un des « patrouilleurs » de la BRF. « La plupart du temps, les frotteurs repèrent leurs victimes sur le quai, on les repère parce qu’ils observent les fesses ou les décolletés des passantes, avec insistance. Certains sont de véritables prédateurs, ils n’hésitent pas à traquer longtemps les femmes qu’ils choisissent. Ils se mêlent ensuite à la foule dans une rame particulièrement bondée, et entrent en action. Ils sont très difficiles à appréhender, parce qu’il leur est très facile de s’évaporer dans la foule, ils parviennent souvent à tromper la vigilance des policiers en quelques secondes. Pour les appréhender, nous devons en effet prendre le temps d’interroger les femmes auxquelles ils s’en sont pris ». Selon une précédente étude de l’Insee, publiée en 2013, 25% des femmes âgées de 18 à 29 ans ont peur dans la rue ou les transports, 20% se font injurier au moins une fois par an et 10% subissent des baisers ou des caresses qu’elles ne désirent pas. A la suite du rapport du Haut Comité à l’Egalité entre les hommes et les femmes, un plan spécifique concernant les transports en commun est en train d’être mis en place par le gouvernement. Il sera dévoilé en juin prochain. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT