MoryGlobal : 2 mois après la liquidation, le désarroi des sous-traitants 21 mai 2015 Economie 0 Comments Marie MEHAULT Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Temps de lecture : 5 minutesDes quais de chargement désormais déserts : à Cesson-Sévigné, près de Rennes, le site MoryGlobal est à l’arrêt depuis bientôt un mois. Depuis que, le jeudi 30 avril 2015, comme tous les sites du groupe en France, il a fermé ses portes, suite à la mise en liquidation judiciaire prononcée le 31 mars dernier par le Tribunal de Commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Cette plateforme d’Ille-et-Vilaine desservait toute la Bretagne. D’une activité intense, on est passé au calme plat. Ne flottent plus que quelques banderoles de tissus accrochées aux grilles : « Mory assassiné = 2200 victimes », peut-on lire, écrit au marqueur noir un peu délavé par les intempéries. Ou encore : « Mory Global, Mory Ducros : + 5000 emplois détruits », écrit rageusement en lettres capitales sur une pancarte de bois désormais de guingois. Triste issue, qui ne signifie pas seulement la mort d’un groupe et le licenciement de plusieurs milliers de personnes. Mais aussi la galère, financière, sociale, humaine, pour tous les sous-traitants de Mory Ducros, puis de la nouvelle société, MoryGlobal, qui n’aura duré qu’un an. Daniel Tual, transporteur routier indépendant, a les yeux dans le vague, en longeant les enceintes du site breton, désormais silencieux. « C’est très étrange, ce silence, ces entrepôts déserts, ce lieu abandonné. Il y a un mois encore, cela sortait et cela entrait jour et nuit. Et maintenant, c’est une coquille vide ». Pendant huit ans, ce chauffeur breton a commencé chacune de ses journées de travail ici, à Cesson-Sévigné. Mory Ducros, puis MoryGlobal, était son seul et unique client. « J’étais là à plein temps, donc quand l’activité s’est arrêtée pour eux, elle s’est arrêtée pour moi. Forcément ». Comme lui, mille entreprises de transport en France seraient directement touchées par la faillite du groupe Mory. De nombreuses PME, employant quelques dizaines de salariés, parfois moins. Christian Hammer, transporteur routier, est patron d’une petite société de dix salariés. Dont 4 étaient affectés à temps plein sur l’activité générée par Mory. Au total, MoryGlobal représentait un tiers de son chiffre d’affaires annuel. Difficile à encaisser. « Cela a été encore plus violent qu’on le pensait, tout s’est arrêté du jour au lendemain. Je me souviendrai toujours : le mardi matin, ils m’appelaient pour 3 camions, et le mardi après-midi ils m’appelaient pour tout annuler. La rupture a été brutale, mais il n’y a pas que ça : moi j’ai avancé des frais de carburant, les salaires de mes employés, les traites de mes camions, et MoryGlobal me laisse sur le carreau avec 40 000 euros d’impayés. Je ne suis pas le seul, et on se battra tous ensemble pour récupérer cet argent. Pas question de faire une croix dessus. On s’est engagés à aller jusqu’au bout avec Mory, y compris après la fin de Mory Ducros et la création de MoryGlobal, sachant que le mandataire de son côté s’engageait à nous payer. On a tenu nos engagements, il doit tenir les siens ». Mais le groupe Arcole Industries aura-t-il les moyens d’honorer ses dettes envers les sous-traitants de MoryGlobal ? Les ex salariés de l’entreprise réclament un départ décent, dans les mêmes conditions que leurs collègues, licenciés en 2014 après la reprise de Mory Ducros par MoryGlobal. Un Plan de Sauvegarde de l’Emploi a été défini avec l’Etat début mai 2015 : il représente déjà à lui seul une enveloppe de plus de 25 millions d’euros. Or, « au départ, l’administrateur judiciaire n’avait prévu que 3 millions d’euros pour financer les mesures d’accompagnement, c’est-à-dire les congés de reclassement, les formations…) et rien pour les indemnités supplémentaires de licenciement. C’est-à-dire un dixième de la somme nécessaire à un plan de départs correct ! », raconte Jean-Claude Hacquard, ex délégué CGT MoryGlobal. « On a exigé que les produits de la vente des agences, des marchandises stockées, des véhicules du groupe soient redistribués en priorité pour financer le plan social ». Si déjà, le budget pour aider les ex salariés à se reclasser est difficile à boucler, on peut imaginer à quel point le marathon judiciaire des sous-traitants pour récupérer leur dû, va être ardu, long, et douloureux. Encore faudra-t-il réussir à tenir sur la durée, en termes de trésorerie : « Il y a un an, on nous a donné des assurances écrites comme quoi nos prestations seraient entièrement réglées, de telle manière à ce que nous puissions permettre à l’exploitation de MoryGlobal de se poursuivre. Nous avons joué le jeu, payé les charges, payé les crédits, et aujourd’hui, nous sommes très inquiets pour l’avenir », explique François Baudouin, qui fait lui aussi partie des 200 transporteurs bretons impactés par la situation. L’OTRE, Organisation des TPE et PME du Transport Routier, avait mis en garde le gouvernement dès la mi-avril, sur les conséquences pour les sous-traitants en France, de la liquidation judiciaire de MoryGlobal. Un mois et demi plus tard, la situation s’est aggravée, et les témoignages d’entrepreneurs en difficulté affluent dans la boîte aux lettres et la boîte mail de l’Organisation. Les factures impayées remontent pour la plupart à février, et jusqu’à la fin avril. « Les factures sont payées au fil de l’eau, des virements sont partis pour février », répond l’administrateur judiciaire à nos questions. Restent les mois de mars et d’avril : des créances qui se montent pour certaines TPE et PME à plusieurs dizaines de milliers d’euros, surtout celles qui, partenaires historiques de Mory Ducros depuis de très nombreuses années, avaient choisi de faire confiance au repreneur. Celles qui s’en sortent le mieux aujourd’hui, sont finalement celles qui, échaudées par le premier redressement de Mory Ducros, avaient essayé de moins travailler avec le groupe, et de prospecter d’autres clients. Au-delà des impayés, la baisse immédiate du chiffre d’affaires est, pour tous, extrêmement compliquée à amortir. Les salariés des sous-traitants craignent pour leur emploi. Et on le sentiment que l’Etat les oublie, uniquement préoccupé du sort des ex Mory : « L’État a-t-il envisagé le sort de cette multitude de PME dont la liquidation de Mory met la santé financière, déjà précaire, en très grande difficulté? », demande Aline Mesples, présidente de l’OTRE. « En décembre 2013, l’ancien ministre au redressement productif Arnaud Montebourg avait convoqué les représentants de la profession pour leur demander que les entreprises de transport s’impliquent dans la relance de MoryGlobal et dans le reclassement de ses personnels. La profession, tant bien que mal, avait alors répondu présente à cet appel ministériel. Il ne faudrait pas qu’aujourd’hui ces sous-traitants, qui ont permis à MoryGlobal de continuer son activité, se retrouvent les seules victimes de ce fiasco ». Tous, demandent aujourd’hui que le gouvernement leur accorde la même attention qu’à leurs malheureux collègues de chez Mory, et débloque les moyens, financiers mais aussi judiciaires, pour permettre aux sous-traitants de recouvrer leurs factures impayées, mais aussi pour les aider, dans les situations où cela devient inévitable, à se séparer de leurs salariés dans les meilleures conditions humaines et sociales, avec des mesures de sauvegarde de l’emploi identiques pour leurs salariés affectés aux activités de sous-traitance de MoryGlobal, que pour les salariés directs du messager liquidé. Au total, les sous-traitants de Mory emploient plus de 2000 salariés en France. C’est-à-dire autant, ou presque, que les derniers licenciés de MoryGlobal. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT