Cheminots : tous des privilégiés ? 17 juin 2013 Transport 2 Comments Marie MEHAULT Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Temps de lecture : 4 minutesIls ont fait grève entre mercredi soir et vendredi matin… Une grève très suivie : un tiers du personnel selon la SNCF, près de la moitié selon les syndicats. Résultat : des TGV, des trains internationaux et des trains régionaux annulés, des milliers d’usagers embêtés… et tout ça pourquoi ? Parce que les cheminots sont une collectivité, dont l’histoire est l’aboutissement de dizaines d’années d’histoire commune et de service public. Alors, forcément, ils veulent protéger leur statut, un statut que d’aucuns considèrent comme privilégié. « Ils nous prennent en otage », ou encore, « ils font grève pour tout et n’importe quoi, alors qu’ils ont un confort de vie et de travail que beaucoup de Français aimeraient avoir ». Combien de fois n’a-t-on pas entendu ces phrases, dans la bouche de voyageurs exaspérés ? Mais pour comprendre vraiment les raisons de la grève, qui a paralysé une grande partie du trafic ferroviaire entre le 12 et le 14 juin, il faut approfondir un peu. Les cheminots protestent officiellement contre la réforme ferroviaire, un chantier porté par le ministre des transports Frédéric Cuvillier depuis son arrivée au gouvernement, juste après l’élection de François Hollande. Un projet, qui prévoit de réorganiser entièrement les relations entre RFF, Réseau Ferré de France, et la SNCF. En clair, il ne sera plus question de parler de ces deux entités de manière autonome et indépendante, mais désormais, une maison mère chapeautera d’un côté l’infrastructure (RFF, et les gestionnaires de la SNCF qui travaillent à la maintenance du réseau et à la circulation ferroviaire), et de l’autre côté, tous les autres services de la SNCF. Officiellement toujours, les syndicats de cheminots dénoncent donc le morcellement de leur société, auquel ils préfèrent une véritable fusion où la SNCF avalerait tout le reste. Mais à cela, s’oppose le refus catégorique de la Commission Européenne. Mais officieusement, ce sont surtout leurs conditions de travail et leur statut social que les cheminots veulent en réalité protéger, alors que le gouvernement comme la direction de la SNCF se sont montrés rassurants, et de manière constante, sur ce point, depuis le début des réflexions il y a maintenant plusieurs mois. Pourquoi les cheminots craignent-ils autant de perdre leurs avantages ? Parce que ces avantages sont nombreux, et tout à fait exceptionnels au regard de la société d’aujourd’hui. Ils bénéficient notamment d’une convention collective, mise en place dès 1919, et tout à fait clémente parce que destinée, à l’époque, à fidéliser le personnel par rapport à un métier spécifique et pénible. « Ainsi, la Compagnie a mis en place un régime de retraite spécial dès 1909 pour ses agents », explique Roger Oustry, auteur du « Statut des Cheminots de l’origine à nos jours ». « La SNCF régissait alors tous les aspects de la vie de son personnel, le recrutement, les congés, la maladie, l’avancement, bien sur, mais aussi le logement, l’éducation des enfants, la maternité, les ateliers de loisirs pour les femmes… ainsi en témoignent d’anciennes cité de cheminots, qui existent encore, notamment dans le nord de la France. » Aujourd’hui, le statut reste très confortable : ceux qui en bénéficient ont, nous le disions, leur propre régime de retraite (départ à 50 ans pour les conducteurs, 55 ans pour les autres), leur propre régime de sécurité sociale (consultation de médecins désignés pour 1 euro, par exemple), une aide au logement très précieuse, les transports en train gratuits pour les agents, mais aussi pour leurs enfants et pour leurs parents (sauf réservation et supplément), des agences dédiées qui font le lien entre les cheminots et la CAF ou les banques, par exemple, une prime de vacances, une prime de fin d’année, un Comité d’Entreprise très performant… Des avantages que beaucoup ne comprennent plus, arguant qu’aujourd’hui, le travail de cheminot est beaucoup moins pénible que par le passé puisque, entre autres, tout est automatisé. « Les gens racontent tout et n’importe quoi sur notre statut, et ce sont souvent des inepties », râle Nine, employée à la SNCF depuis 8 ans, et mariée à un cheminot qui compte 18 ans d’ancienneté. « Il est logique que nous ayons des avantages dans les transports en train, tout comme ceux qui travaillent dans les compagnies aériennes ou même ailleurs ! Une vendeuse dans un magasin peut s’acheter des articles de la boutique avec une réduction, les salariés des constructeurs automobiles ont aussi d’énormes réductions, etc ! Contrairement au privé, nous n’avons pas de 13e mois, nous bossons en 3X8 y compris les week-ends et les jours fériés, nous n’avons que 28 jours de congé par an et le salaire moyen, hors primes, est de 1150 euros nets ! » Les 155 000 cheminots du public craignent donc particulièrement que leur statut ne soit aligné « par le bas », sur celui de ceux du privé. « Des gains de productivité au détriment de l’emploi, des salaires et des conditions sociales », s’indigne Didier Aubert, secrétaire général CFDT cheminots. « Non seulement cela dégraderait nos conditions de travail, mais cela signifierait aussi une perte de pouvoir d’achat, une menace sur la sécurité du trafic ferroviaire et une nouvelle baisse de la productivité. » Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT