Conditions et temps de travail à l’hôpital = colère et mobilisation des agents

3 juin 2015 Economie Marie MEHAULT
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greveSentiment, ces derniers jours, d’une vaste cacophonie dans les hôpitaux de France : un quart du personnel en grève jeudi 28 mai 2015 à l’hôpital Corentin Celton d’Issy-les-Moulineaux, au sud de Paris, plus 50% de grévistes dans d’autres établissements ; journalistes hués pendant un direct à la radio depuis l’hôpital Pompidou à Paris, ce vendredi 29 mai 2015 ; des matelas, empilés par dizaines, dans le hall de l’hôpital Beaujon à Clichy, en région parisienne, ce lundi 1er juin 2015 ; Grande grève massive programmée pour le 11 juin prochain.

 

hopitalLe problème ? Le projet de réforme des 35 heures, mis sur la table par Martin Hirsch, à la tête de l’Assistante Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Mais partout en France, les établissements hospitaliers se disent solidaires, craignant que si la réforme est menée à son terme en Ile-de-France, elle ne fasse jurisprudence ensuite dans tout le pays. Martin Hirsch, ancien Haut-Commissaire aux Solidarités Actives sous la présidence de Nicolas Sarkozy, estime de son côté que si rien n’est fait pour assouplir le régime des 35 heures à l’hôpital, il lui faudra licencier au bas mot 4000 personnes. Il propose donc de raccourcir les journées de travail, de manière à ce que les agents hospitalier génèrent moins d’heures supplémentaires et de RTT, qui coûtent aujourd’hui une petite fortune à l’hôpital public : avec 75 000 agents (infirmiers, aide-soignants, brancardiers…) qui travaillent entre 7H36 et 7H50 par jour, certains travaillant jusque 12 heures par jour. Les 38 établissements de l’AP-HP cumulent donc chaque année 1 million 425 000 jours de RTT ! Qu’il faut accorder soit en journées de repos, en payant, par exemple, des intérimaires pour remplacer les absents. Soit en argent sonnant et trébuchant, lorsque les salariés préfèrent placer ces jours sur un compte épargne temps (CET) et les monétiser à la fin décembre de chaque année. Soit un tout petit peu moins de 75 millions d’euros, chaque année, à débourser pour l’Etat.

 

temps_travailEn raccourcissant les journées de travail à 7H30 maximum, Martin Hirsch espère donc réduire ces jours de RTT imputés aux plannings des services ou monités sur des CET, de manière à économiser 20 millions d’euros par an pour les hôpitaux de l’AP-HP. Mais plus largement, et selon certaines sources bien informées, le gouvernement espèrerait économiser 3 milliards d’euros dans les hôpitaux de tout le pays d’ici 2017,  en généralisant cette mesure à tous ses établissements publics. «Nous ne sommes pas en train de sortir des 35 heures à l’hôpital», explique Martin Hirsch. « L’objectif, «ce n’est ni la fin des 35 heures, ni des RTT, ce sont les 35 heures organisées autrement. Ce chantier, c’est la reconquête du temps perdu». Forcément, l’idée n’est pas du goût de tous… et les agents hospitaliers montent férocement au créneau, refusant la moindre discussion avant que le projet ait été tout simplement retiré de la table. Car clairement, raccourcir les journées de travail des agents pour réduire leurs RTT, cela signifie pénaliser ceux qui prennent ces jours complets pour se reposer d’un rythme de travail effréné. Ou pénaliser ceux qui, préférant les cumuler sur leur compte épargne temps, comptent bien sur cette petite « cagnotte » de fin d’année pour payer les vacances, les cadeaux de Noël, les impôts, etc.

 

RTT« On s’attaque aujourd’hui à un acquis des salariés, un acquis dont ils ont besoin, face aux cadences importantes et aux conditions de travail qui se dégradent », explique Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. « Au lieu de supprimer des temps de repos, la vraie solution ce serait de donner des moyens à l’hôpital public ! De l’argent, il y en a dans ce pays, mais il est donné aux grandes entreprises, il sert à verser des dividendes aux actionnaires, alors qu’il devrait servir à augmenter les moyens matériels et humains de l’hôpital. Ce que doivent entendre Martin Hirsch et Marisol Touraine, c’est que les agents demandent plus pour pouvoir bien faire leur travail. En 2015 dans les hôpitaux de France, on ne compte plus les salariés qui souffrent et qui ne peuvent plus faire leur travail correctement, et le résultat c’est que les patients souffrent aussi. On fait un mauvais procès aux 35 heures à l’hôpital alors que ce qu’il faut, c’est embaucher du personnel ! On se retrouve dans une logique de travail à la chaîne, comme aux plus belles heures du taylorisme à l’américaine, il faut remettre les choses à l’endroit ! On veut imposer à la santé une logique d’entreprise privée à but très lucratif, mais la santé ça ne peut pas fonctionner comme cela ».

 

infirmier« Demander aux personnels hospitaliers de venir travailler moins chaque jour, mais au final, plus longtemps sur l’année entière, tout cela pour permettre à l’hôpital de faire des économies, c’est le plus mauvais choix qui soit, alors qu’ils sont déjà exposés à une très forte dégradation de leurs conditions de travail. Un brancardier met en moyenne 15 minutes pour transporter un malade, il ne va pas s’arrêter au beau milieu de son trajet parce que sa journée est finie ! », tempête Didier Bernus, secrétaire général FO Santé. Mélanie, infirmière, travaille à l’hôpital Necker à Paris. Elle sera de toutes les grèves et de toutes les manifestations, c’est décidé. Car elle estime avoir « un besoin impératif de temps de vrai repos, avec des journées off complètes et pas quelques heures grappillées à la fin de chaque journée de travail. Nous ne pouvons pas continuer à soigner correctement les patients en étant de plus en plus fatigués. Quand on commence à 6H45 du matin, cela veut dire qu’on se lève à 4 heures ! Alors travailler 7H50 plutôt que 7H30, ce n’est pas beaucoup plus fatiguant. En revanche, renoncer à 5 RTT ou plus par an, c’est renoncer à une semaine complète de repos, de vraies vacances, de vrai décrochage, qui nous permet ensuite de revenir plus dispos et de bien faire notre travail ».

 

planningMartin Hirsch et Marisol Touraine sont toutefois loin d’être seuls dans leur bataille : la Fédération Hospitalière de France (FHF) par exemple, la soutient largement, fédération qui dénonce depuis longtemps les 35H à l’hôpital : au cours d’une audition devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale en novembre 2014, le Président de la FHF, Frédéric Valletoux, a ainsi plaidé pour la généralisation d’un plafond de 15 jours de RTT annuels, comme cela a été mis en place très tôt au CHU d’Angers, par exemple, qui a signé dès 2002 un accord qui fixait à 7h30 la durée quotidienne de travail, avec 15 jours de RTT par an, voire 18 jours pour les agents ayant fait preuve d’un absentéisme particulièrement faible dans l’année. Ou encore, à Besançon, dont le Centre Hospitalier Universitaire, en déficit financier important, a en 2010 de passer de 26 jours de RTT par an et par agent, à 18 jours en échange d’un temps de travail / jour raccourci. Enfin, dernier à avoir pris la même initiative : le CHU d’Amiens, en 2011, qui a généralisé pour ses agents une durée de travail quotidienne de 7h30, avec une réduction du nombre de RTT de 27 à 15 jours annuels.

 

agentsAmiens justement, qui devait faire figure d’exemple… mais où les agents se plaignent de la mesure. A les croire, elle a considérablement appesanti leurs conditions de travail depuis 4 ans : « le résultat, c’est que les arrêts maladie se multiplient, et qu’on manque tellement de bras que de toutes façon, cela n’a rien résolu : les CET sont toujours remplis au maximum, et le nombre d’heures sup générées est toujours aussi important », confie une chef de service, qui souhaite rester anonyme. « Ces derniers mois, les mouvements de grève se sont multipliés au sein de l’hôpital. Et les patients en pâtissent aussi, puisqu’au final, on nous demande de faire le même travail chaque jour, mais en moins de temps ». Seuls les agents hospitalier sont concernés par la mesure. Pas les médecins.

 

 

Marie MEHAULT