Crise du meuble : quel impact pour le transport et la logistique ?

27 novembre 2014 Logistique, Transport 1 Comment Marie MEHAULT
Temps de lecture : 8 minutes

AtlasLe meuble est en crise, vraiment en crise. Pour preuve : les difficultés du groupe Mobilier Européen, 4ème sur le podium des plus gros vendeurs de meubles en France, propriétaire des marques Fly, Atlas et Crozatier : ce 21 novembre 2014, l’annonce était rendue publique, comme un coup de tonnerre dans le ciel déjà tourmenté du secteur : 40 magasins sur 186 devraient être amenés à disparaître, un millier d’emplois supprimés. Pionnier du meuble familial dans les années 1970 en France, le Mobilier Européen vit ses derniers moments, avant liquidation. « Le secteur de l’ameublement souffre de manière générale, et les jeunes, une de nos cibles, peinent à se loger », analyse un cadre de direction.

 

conforamaMais cet exemple précis n’est que l’arbre qui cache la forêt. C’est tout le secteur du meuble qui est en tension. « Ce qui se passe chez Mobilier Européen ne nous réjouit pas, même si c’est un concurrent, parce que c’est symptomatique de quelque chose de bien plus profond, et qui nous touche tous. Cela a fait l’effet d’un tremblement de terre dans la profession », indique ainsi Didier Baumgarten, président de la Fédération du Négoce de l’Ameublement (FNAEM). A tel point que ce sont tous les représentants du secteur du meuble en France, qui vient de demander un soutien à la filière, au gouvernement de Manuel Valls. Côte à côte, la chose est rare, on a vu les rivaux de toujours se serrer les coudes dans l’adversité : la patronne d’Ikéa France, le PDG de But, les dirigeants de Roche Bobois, Ligne Roset ou encore Gautier… A eux tous, ils emplois quelque 128 000 salariés, alors il y a de quoi s’inquiéter. Et parmi ces 128 000 salariés, énormément de professionnels de la logistique.

 

IkeaCar c’est bien connu, sans la logistique le meuble n’est rien et sans le meuble, la logistique perd une part non négligeable de son activité… C’est, comme qui dirait, un mariage d’amour, qui dure depuis des décennies maintenant, avec la Camif autrefois (l’enseigne a mis la clé sous la porte en 2008), la Redoute, les 3 Suisses, et évidemment, But, Conforama, Fly, Ikea, etc etc… C’est l’un des secteurs le plus gourmand en main d’œuvre logistique : chargement, déchargement, transport, préparation de commandes, stockage, déstockage, montage, démontage, commandes, livraisons, distribution… Or, si le meuble va mal, si le meuble ne se vend plus, si les stocks ne se liquident pas, si les collections ne se vendent pas assez bien et donc ne se renouvellent plus assez vite, si le client s’en va, c’est toute la branche qui est sciée. De la à craindre que des dizaines de prestataires logistiques dont la survie dépend directement de la filière du meuble, vont finir par devoir à leur tour déposer le bilan, il n’y a qu’un pas… que nous ne franchirons pas !

 

ventesCar tout n’est pas perdu, loin de là, et quelques intéressantes possibilités de rebondir s’offrent à la filière de la logistique du meuble, à mesures que nos habitudes de consommation changent. « C’est à nous d’innover encore, de varier notre style, de trouver de nouvelles astuces fonctionnelles pour attirer les consommateurs», estime ainsi David Soulard, PDG de l’enseigne Gautier. Car liquider les stocks en cassant les prix, comme l’ont fait les magasins du groupe Fly durant tout l’été dernier, permet certes de dégager de la trésorerie, mais cela ne suffit pas pour survivre, pas plus que de tout miser sur les acheteurs à l’international. Pas suffisant, tout cela, pour enrayer une baisse des ventes de plus de 10% par an (environ 9,2 milliards d’euros) depuis trois ans !

 

logistiqueCeux qui s’en sortent sont effectivement ceux qui ne cessent jamais d’innover, tant en termes de produits que de marketing. Ainsi, Ikea s’est organisé pour fabriquer ses meubles en interne, et en de telles quantités que les économies d’échelle sont forcément très avantageuses, et donc les marges aussi. L’enseigne suédoise s’est aussi montrée pionnière, depuis deux ans, dans la mise en avant de ses « collections de niche », des produits en série limitée, à petits prix comme pour tout le reste des produits de l’enseigne, mais avec la signature de designers de renom. Conforama, pour éviter les dépenses superflues liées aux intermédiaires, a implanté ses achats en Asie, tandis que la Redoute, par exemple, a fait le choix  « d’ anoblir » sa marque d’ameublement AM.PM, désormais considérée comme du « haut de gamme populaire », avec des prix très fortement à la hausse depuis plusieurs années, mais un niveau de qualité qui suit, des designers de plus en plus pointus, une vraie acuité sur les tendances à venir, et un succès croissant auprès des clients. « Chez Fly, notre tort, cela a été notre retard sur la vente en ligne. Elle existait à peine, avec trop peu d’articles disponibles directement sur Internet », juge tristement Patrick Marets, délégué CFTC.

 

Internet…. C’est justement ce qui fait que la logistique ne souffrira pas trop de la crise de l’ameublement. Car si l’activité logistique autour des grands magasins du meuble risque de s’éteindre petit à petit, hormis chez les deux ou trois grands leaders du marché, l’activité sur Internet, elle, explose littéralement depuis plusieurs années. Alors qu’autrefois on allait dans les magasins essayer timidement l’élasticité et le confort d’un matelas ou d’un sommier avec sa fiancée, désormais, il n’est plus rare de s’équiper quasiment entièrement en passant directement par les sites on-line des marques qui nous plaisent.

 

meubles« Acheter ses meubles en ligne, c’est que du bonheur ! », s’enthousiasme ainsi une cliente, croisée au service après-vente de Cdiscount à Bordeaux, et qui nous avoue « être fan de déco et consommer à 100% sur Internet, du frigo au bureau en passant par les lits superposés des enfants et les canapés du salon ». Les avantages ? « Vous choisissez ce que vous voulez où vous voulez, vous n’êtes pas obligé d’acheter tout au même endroit pour rentabiliser la camionnette de location ou les frais du transporteur. Vous bénéficiez presque toujours de rabais que vous ne trouvez pas en magasin. Et c’est livré chez vous. Souvent, même, avec un petit supplément, on vous monte le meuble en kit, directement à l’endroit de la pièce où vous voulez le positionner. S’il y a un souci tout est garanti un an, les SAV sont plutôt performants et on vous envoie un transporteur pour récupérer les produits défectueux, plus besoin de se coltiner la corvée, vous êtes satisfait, ou remboursé… bref, que demander de plus ? Tous les avantages du magasin sans les inconvénients ! »

 

flyOr, la vente en ligne est l’autre grande amie de la logistique et du transporteur !!! Sur Internet, la vente en ligne de meubles progresse de manière fulgurante depuis 2011, avec chaque année, une croissance à deux chiffres (22% en moyenne depuis 5 ans). Or, vendre de l’ameublement en ligne, cela signifie une réduction des coûts liée à la non nécessité de lieux de distribution physique, mais aussi et surtout à une organisation logistique nouvelle, et assez fascinante : d’immenses entrepôts centralisés où sont stockées les marchandises sur des hectares et des hectares, en attendant d’être expédiées. Parcs de camions démesurés pour l’acheminement des meubles à leurs heureux propriétaires, partout en France et même parfois à l’étranger, avec des coûts réduits grâce à la quantité de transactions effectuées et au groupage des expéditions en fonction des destinations. Nouveaux process logistiques, informatiques et publicitaires, et des plateformes logistiques relocalisées en France, car celles de Chine soumettent les ventes à des délais d’expédition trop longs… et les acheteurs sont pressés.

 

crozatierCes acheteurs, qu’il faut séduire pour prospérer à coup sûr ? Une nouvelle clientèle de trentenaires et de quadras branchés : des acheteurs hyper-urbains, geeks, aimant choisir leurs meubles dans les magazines de déco et les shopper aussitôt sur le net, plutôt que d’aller tâter du plat de la main les coussins du fauteuil X ou du canapé Y exposés au rayon -1 d’un hypermarché de l’ameublement. Une clientèle, plus prompte à entrer ses coordonnées bancaires sur le net et à cliquer, plutôt qu’à sortir la voiture pour aller faire la queue aux caisses des grands entrepôts d’ameublement, en lointaine banlieue. « Culturellement, nous sommes sur un marché qui a toujours été très réticent au changement et c’est cela qui fait mal à ce secteur », commente un cadre de chez Made In Design, jeune entreprise de vente en ligne de meubles de designers célèbres, qui a littéralement dévoré le marché du meuble haut de gamme ces dernières années. D’autres, plus accessibles, ont aussi surfé sur la vague du meuble en ligne : « meubles.com », « Matelsom », « myfab », « vente-unique.com » ou encore « Miliboo », pour ne citer qu’eux. De ce côté-là, donc, la logistique et le secteur du transport n’ont pas franchement à s’en faire.

 

liquidationDu côté des enseignes plus traditionnelles, en revanche, les grands décideurs ont avoué cette semaine avoir besoin d’un coup de pouce. « Ni subventions, ni « prime à la casse » comme dans l’automobile », mais une proposition bien précise : « Autoriser le déblocage partiel des plans d’épargne logement (PEL) pour l’achat de meubles », explique Dominique Weber, président de l’UNIFA, la fédération des fabricants de meubles. « Ce serait logique, puisque le Plan d’Epargne Logement est destiné à financer le logement… or, un tiers des ménages renouvellent leur mobilier justement parce qu’ils déménagent ! ». Or, avec la crise, les Français ne déménagent plus beaucoup : crainte de quitter un appartement dont le loyer est à leur portée, pour un emprunt immobilier qui leur fait peur, ou une nouvelle location plus chère ; prêts bancaires plus difficiles à obtenir, même si les taux sont bas… Bref, désormais, les Français arbitrent en faveur d’autres dépenses que celles liées à l’ameublement. « Aujourd’hui, le marché est quasiment au même niveau qu’il y a un quart de siècle, c’est inquiétant », estime Michel Roset, à la tête du groupe qui porte son nom. « L’épargne placée sur les PEL en France représente plus de 200 milliards d’euros ! Permettre aux consommateurs de l’utiliser pour acheter de l’ameublement pourrait faire croître les achats à hauteur de plus d’un milliard d’euros, soit 12% de notre marché ! », analyse Dominique Weber de l’UNIFA.

 

Si l’on résume, un coup de mou pour le meuble ne signifie pas forcément un coup de chaud pour la logistique… en revanche, un coup de pouce pour le meuble signifiera forcément un coup de fouet pour l’activité logistique !

Marie MEHAULT