Déserts médicaux : de pire en pire… peut-on encore faire marche arrière ? 16 août 2017 Société Marie MEHAULT Temps de lecture : 6 minutesSon histoire a fait le tour du net et des médias, une histoire à dormir debout et pourtant, bel et bien vraie : celle du Docteur Patrick Laine, médecin généraliste à Saulnot, une commune de Haute-Saône. Une histoire, qui pourrait faire sourire si, au fond, elle n’était pas révélatrice d’une terrible réalité : celle des déserts médicaux, un phénomène qui continue de s’aggraver de manière vertigineuse, sans que rien ne puisse sembler pouvoir enrayer sa progression. Le docteur Patrick Laine, donc, 67 ans dont la moitié d’exercice de la médecine, contraint de continuer à gérer son cabinet malgré lui et malgré des problèmes de santé, depuis 18 mois maintenant, sans pouvoir prendre sa retraite, faute de successeur. « Je ne supporte pas l’idée d’abandonner mes patients, c’est un village de 800 habitants et tous dépendent de moi, sans compter ceux des campagnes alentour ». Il est loin d’être le seul, direz-vous. Sauf que son histoire particulière est la preuve s’il en fallait encore une, de ce que le problème des déserts médicaux en France est devenu crucial, et désespéré. Pourquoi ? Parce que le docteur Laine propose depuis un an et demi de DONNER son cabinet à un successeur… en vain, point de volontaire. « J’ai tout essayé, je me suis tourné aussi bien vers l’ARS (Agence Régionale de Santé, ndlr), vers l’Ordre des Médecins, vers des cabinets de recrutement privés, vers la mairie… j’ai fini par poster une annonce sur le site Leboncoin, pour proposer à un confrère qui le voudrait de reprendre gratuitement mon cabinet. Je cède tout, les murs, la patientèle, le mobilier, le matériel de soins, tout ! Même l’appartement pour que mon successeur puisse habiter tout de suite en ville, je le donne. Et bien croyez moi ou non, personne ne s’est manifesté, hormis deux confrères étrangers qui malheureusement n’avaient pas leurs équivalences pour pouvoir exercer en France ». S’il est particulièrement éloquent, l’exemple du docteur Laine est loin d’être isolé, sauf peut-être par son exemplarité en matière de loyauté d’un praticien envers ses patients. « Nombreux sont les médecins de campagne dans le même cas, mais la plupart quittent malgré tout la profession pour se mettre à la retraite, avec regrets mais parce qu’ils estiment ne plus pouvoir continuer à assumer leur charge en prenant de l’âge », analyse un chercheur de la DREES, la Direction de la Recherche du Ministère de la Santé. « Aujourd’hui, on estime que quasiment un Français sur 10 vit dans un désert médical. C’est la raison pour laquelle le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, a fait la promesse de multiplier par deux le nombre de Maisons de Santé dans le pays, et de mettre en place un service sanitaire, comme pour un service militaire mais pour les étudiants en médecine ». Le ministère de la Santé promet donc plusieurs mesures pour tenter d’enrayer le phénomène, à l’accélération inquiétante. Si elle refuse de mettre en place une obligation d’installation des praticiens dans les territoires les plus isolés et les plus démunis en matière d’offre de soins, parce qu’elle n’estime pas le dispositif efficace dans les pays où il a été mis en place, Agnès Buzyn veut en revanche créer des postes de « médecins détachés » pour les régions sous dotées, avec des sortes d’astreintes de consultations périodiques. Elle dit notamment penser aux médecins exerçant dans des villes « dotées de plusieurs hôpitaux : certains praticiens pourraient exercer des permanences régulières dans les territoires touchés par la désertification médicale, pas trop loin de leur ville d’attache et sans avoir, du coup, la contrainte de devoir s’y installer et y vivre toute l’année ». « Les médecins libéraux pourraient aussi exercer ce genre de consultations périodiques avec des roulements entre eux, dans des rayons d’action de 50 kilomètres maximum autour de leur cabinet, par exemple », explique-t-elle encore. Autre mesure dans la mallette de la Ministre, elle-même médecin : « la création de maisons de santé pluridisciplinaires, et un renforcement des mesures incitatives. Je suis farouchement opposée à toute mesure qui porterait atteinte à la liberté d’installation des médecins. En revanche, je crois que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait jusqu’à présent pour leur donner vraiment envie ». Objectif, donc : les aider à se regrouper au sein de structures d’accueil polyvalentes, regroupant un maximum de spécialités, et doubler leur nombre d’ici 2022 pour les porter à plus de 2000 à la fin du quinquennat, alors qu’elles seront environ 1200 en France d’ici la fin de l’année 2017. Autre idée phare du nouveau président : la création d’un « service sanitaire », au même titre qu’on pourrait évoquer un service militaire : 3 mois obligatoires, pendant le cursus des études de médecines, durant lesquels les étudiants futurs médecins devraient partir pour des missions de prévention ou de dépistage dans les zones touchées par les déserts médicaux. « Ce sont de belles idées, mais cela risque de ne pas suffire. L’exemple du docteur Laine prouve à quel point le mal est installé durablement, profond, quasi inéluctable », estime le syndicat des médecins généralistes, MG France. « Car les médecins vieillissent, ce sont les générations du baby boom qui passent dans la catégorie des papyboomers, ceux qui aujourd’hui partent en retraite alors que les générations après eux sont démographiquement bien inférieures en nombre. Malgré des initiatives nombreuses, et intéressantes, l’offre de soins ne cesse de reculer dans notre pays, et aujourd’hui 8,6% de la population souffre de la pénurie de médecins, c’est 1% de plus qu’il y a 5 ans, ça va donc très vite. Et ce n’est pas fini, puisque l’âge moyen des médecins français est de 55 ans en 2017 ! ». Il y a un an, effectivement, l’association UFC Que Choisir estiment que près de 15 millions de Français vivaient dans un désert médical, à plus de 30 minutes en voiture d’un médecin généraliste. Pour les experts et les chercheurs en management de la santé, comme le Professeur de Lautour, enseignant chercheur à Grenoble, « les solutions de lutte traditionnelles contre les déserts médicaux, comme les primes par exemple, sont devenues inefficaces. Les jeunes médecins qui s’installent préfèrent de toutes façons, quelles que soient les modes d’incitation, développer leur activité professionnelle dans des zones dynamiques et attractives, les grandes villes, le sud de la France, les régions où la densité de population est importante, où les patients seront de toute façon nombreux et viendront au médecin sans que celui-ci ait à se déplacer pour venir à eux. Ils préfèrent aussi de plus en plus être salariés dans de grandes infrastructures de santé plutôt que de se mettre à leur compte. Enfin, ils recherchent la proximité de réseaux de transports efficaces. Et le fait que de moins en moins de zones rurales aient un CHU à une distance raisonnable, n’aide pas à favoriser la venue de jeunes médecins pour effectuer leur internat. On est donc dans un cas de figure où le pouvoir, schizophrène, veut inciter les médecins à s’installer dans les déserts médicaux, tout en fermant les petites structures locales pour raisons économiques, et en incitant au regroupement des structures de soins ». « Il faut donc innover pour lutter contre le phénomène : à l’instar du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle Zélande, il faut commencer par ouvrir et assouplir la politique française d’accueil à des médecins étrangers, en conditionnant par exemple l’obtention d’un visa à l’installation du praticien dans une zone listée comme désert médical et à une installation pérenne, pour X années par exemple. Une idée simple à mettre en place par le biais des sous-préfecture, qui délivreraient les visas ou les retireraient, selon le respect des conditions d’installation du médecin en France. Cela permettrait d’éviter à la fois le surpeuplement médical dans certaines zones et la sous dotations en médecins d’autres territoires, qui pourraient ainsi être assez rapidement repeuplés en matière de médecins ». Une autre solution pourrait consister à établir l’ordre des villes d’installation des médecins en fonction de leur classement à l’examen final d’obtention du diplôme, comme pour les spécialités. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT