Don d’organes : les professionnels de santé ne savent-ils pas s’y prendre ? 1 juillet 2013 Santé Marie MEHAULT Temps de lecture : 5 minutesCe vendredi 28 juin, s’est achevée la campagne 2013 de sensibilisation au don d’organes, qui a duré une semaine. Chaque année, plus de 17 000 personnes ont besoin d’une greffe d’organe…. Et chaque année, à peine 1500 personnes sont prélevées. La différence entre ces deux données est révélatrice du manque cruel de donneurs en France, et ce, quelles que soient les campagnes de sensibilisation et les appels d’associations aussi diverses que variées. Comment se fait-il que nous soyons si peu à accepter de donner, pour nous, par des actions de notre vivant, ou pour nos proches défunts, lorsque malheur leur arrive ? Il est surprenant de constater à quel point les Français sont sensibilisés à la problématique de la greffe d’organe lorsqu’ils sont directement impliqués, ou lorsqu’ils s’imaginent pouvoir être concernés, et à quel point ils y sont indifférents lorsque cela ne les touche pas. Du coup, la question suivante est légitime : les soignants Français s’y prennent-ils de la bonne façon pour convaincre de donner ? N’y a-t-il pas une faille, quelque part dans le système ? Il serait un peu trop facile de conclure que la population est tout simplement égoïste, sans doute faut-il malgré tout s’interroger sur la façon dont on pourrait déclencher un déclic, en situation d’urgence, face à des familles éplorées, pour les persuader qu’en donnant ils aideront leur défunt à sauver une, voire plusieurs vies ? Car seulement 6 greffes sur 100 sont réalisées grâce à des donneurs vivants. C’est donc que l’essentiel des enjeux reposent sur les défunts et leurs familles… A quel moment la prise en charge présente-t-elle des lacunes, pour qu’il y ait si peu de donneurs alors qu’on sait que rien que dans les accidents de la route, chaque année, il y aurait suffisamment d’opportunités pour satisfaire tous les patients en attente de greffon ? « En France, le prélèvement ne peut pas se faire sur une personne qui était opposée au don d’organes. C’est donc sur l’aptitude des soignants à persuader les familles de défunts que tout repose. L’échec, ou la réussite, et par conséquence, la vie ou la mort d’une personne en attente de greffe », explique un responsable de l’Agence de Biomédecine. « Nous organisons chaque année des tournées, dans tous les grands hôpitaux régionaux, pour sensibiliser le personnel pendant une journée aux problématiques du don d’organe, et les orienter sur la façon dont il faut parler aux familles pour les aider dans leur prise de décision. C’est ce que l’on appelle l’ingénierie psycho-sociale. C’est un terme qui peut sembler barbare, mais derrière se cache une vraie compétence pour parler aux familles, et qui peut tout changer. » De fait, si l’on prend l’exemple du don de cornée, qui ne peut donc concerner que des personnes décédées. Le nombre d’acceptations de familles est inférieur à 15% des défunts, lorsqu’on leur demande de manière classique, selon le protocole de base. Ce pourcentage, passe à 46% en moyenne, dès lors qu’on applique certaines techniques : instaurer un climat de confiance en choisissant la bonne personne pour aller faire la demande aux familles, de préférence une femme, douce, peu stressée, calme. Et surtout, en posant les bonnes questions, des questions qui ne brusquent pas, et amènent petit à petit au bon cheminement intellectuel et émotionnel : « vous, si on vous le demandais, vous accepteriez de donner vos organes ? », ou encore « cette personne de votre famille était-elle généreuse ? » puis « pensez-vous que de son vivant elle aurait accepté de donner ses organes », etc… « Les greffes réussissent de mieux en mieux, et elles concernent de plus en plus de parties du corps, les organes, mais aussi les tissus », explique Jean-Michel Dubernard, l’un des pionniers de la transplantation d’organes à Lyon. « Mais les greffes posent aux familles des questions d’identité et d’éthique, par rapport à leur défunt, à la personne qu’il était, au respect de son corps, à son âme, aux croyances et aux religions sur la profanation du corps, l’au-delà, etc… Pour les soignants, il ne s’agit donc pas simplement de poser une question bête et méchante, il y a toute une dimension philosophique et philanthropique à prendre en compte, et ça, la plupart ne le savent pas, ou ne savent pas s’y prendre. D’où l’importance de mieux former les personnels dans les services des urgences, de traumatologie et de cardiologie ». « Le problème, c’est que la plupart du temps on n’a pas le temps de faire dans une diplomatie très poussée », analyse Sylvie Labrousse, directrice des soins à l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot. « On nous a appris à être organisés et rapides, pour ne pas prendre le risque de voir mourir l’organe avant d’avoir pu l’implanter. Mais du coup, il y a un hiatus permanant entre le temps de réflexion, la douceur et la patience dont les familles ont besoin, et l’extrême urgence dans laquelle on se trouve d’un point de vue médical, biologique et scientifique. On commence à parler aux familles au moment même où on leur annonce la mort encéphalique de leur proche. C’est d’une violence inouïe, et ce n’est pas étonnant que cela entraîne des réactions de rejet et de négation. C’est sur ce tout petit moment là, qui prend quelques minutes, mais qui est vital et crucial, qu’il faut qu’on travaille.» Chaque année, grâce aux dons d’organes, 5000 personnes sont greffées. Ce qui signifie que chaque autorisation de prélèvement d’une famille pour son défunt, peut sauver trois vies différentes. Mais chaque année, 10 000 autres patients ne reçoivent pas le greffon qui leur permettrait de poursuivre une existence quasi-normale. Certaines en meurent. Former de manière encore plus approfondie les coordinateurs et coordinatrices, ces soignants habilités à parler aux familles, pour les aider à mieux les informer et donc mieux les convaincre, pourrait tout changer. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT