Faillite de Mory Ducros, faillite de Mory Global : un jour sans fin

12 février 2015 Transport 1 Comment Marie MEHAULT
Temps de lecture : 6 minutes

salariesA Alfortville, l’une des dernières agences de Mory Global en Ile de France, comme un sentiment de résignation, à l’entrée du site. Un an après le sauvetage de Mory Ducros (voir nos articles de l’époque : Le séisme Mory Ducros, Le tribunal de commerce valide la reprise de Mory Ducros par Arcole & Mory Ducros combien de salariés seront sauvés), les salariés sont à nouveau sur la sellette. Désabusés. Ecœurés. Ils avaient mis beaucoup d’espoirs dans le « nouveau départ » que symbolisait la reprise de l’activité, l’année dernière.

 

chomage« Qu’est-ce que ça me fait ? Franchement, c’est dégoutant, c’est tout », balance un chauffeur par la fenêtre baissée de son poids-lourd, devant les locaux d’Alfortville. « A Limeil-Brévannes, plus un seul camion ne franchit les grilles depuis cet automne, la soixantaine de salariés et toute l’activité de fret ont été transférés chez nous, à Alfortville, c’est bien la preuve que la clientèle n’a pas repris confiance et n’est pas au rendez-vous », estime un autre chauffeur juste après. « On avait obtenu la sortie de crise l’année dernière après de longs mois de blocage des dépôts, et la fermeture de trois agences rien qu’en Ile-de-France, on pensait que ces sacrifices déboucheraient sur une solution à plus long terme. Un an, c’est rien, c’est désespérant », confie un troisième, les yeux brillants sous son bonnet, l’air manifestement très ému.

 

moryMême chose sur le site de Lesquin, dans le Nord de la France. « C’est la troisième fois en quatre ans qu’on nous parle de difficultés de trésorerie. Est-ce que c’est vraiment la faute à la malchance ? Ou à des gens qui font n’importe quoi et ne se soucient pas beaucoup de nos petites vies ? » demande ainsi un salarié, entre dégoût et colère, devant les portes du site nordiste. « Ils ont sauvé 106 d’entre nous, dans la région du Nord-Pas-de-Calais », raconte un Mory au volant de sa voiture, à l’arrêt, qui arrive pour prendre son poste. « On pensait que ça aurait tenu au minimum quelques années, mais là…. Alors, est-ce que c’est la faute aux actionnaires, est-ce que c’est la faute des patrons je ne sais pas… nous on demande juste à pouvoir faire notre boulot, et on le fait bien, et on le fera jusqu’au bout ». « On vivra comme on vivra ! » lance un dernier, comme un baroud d’honneur.

 

blocageCes salariés, sont en effet les rescapés d’un plan social sévère : 2800 des 5000 employés de Mory Ducros en France avaient été licenciés, en février 2014. Trente agences avaient aussi été fermées, sur les 85 que comptait Mory Ducros dans l’Hexagone. Il y a un an, après ce « jeu de massacre », pour reprendre l’expression d’un salarié du site de Longvic, c’était l’actionnaire principal du groupe, Arcole Industrie, qui avait organisé la reprise de Mory Ducros. Mais certainement pas seul ! Le repreneur avait pu compter sur une aide de l’Etat, pour 17 millions d’euros. Mais de nouveau, comme si les efforts de l’année dernière n’avaient servi à rien, des problèmes de trésorerie plombent le groupe : 40 millions d’euros de perte nette en 2014. L’activité est à la baisse, dans un secteur ultra concurrentiel.

 

colerePointée du doigt par la CGT Transports, Arcole Industries, épicentre de la colère de tous les syndicats. « On omet beaucoup de parler des malversations financières, ou de la défaillance de l’actionnaire », fustige Jean-Claude Hacquart, syndicaliste CGT et membre du Comité d’Entreprise de Mory Global. « Ceci étant, l’entreprise est viable, l’exploitation peut fonctionner, nous avons donc toujours bon espoir de survivre ». L’avocat du Comité d’Entreprise, Thomas Hollande, le fils du Président de la République, estime que « ce qui explique que l’on aboutisse à cette situation, c’est clairement le comportement du groupe Arcole : non seulement son absence de soutien de Mory Global, mais aussi le non respect des engagements qui ont été pris envers les pouvoirs publics lors du plan de cession il y a un an, puisqu’on a appris que sur les 17 millions et demi d’euros 7.5 millions d’euros avaient été remontés par le groupe Arcole pour financer autre chose que le redressement de Mory Ducros. Le non respect des engagements, le non soutien des engagements, nous ont hélas contraints à revenir ici, au tribunal de Commerce. C’est aujourd’hui un patron voyou qui a détruit 2000 emplois et qui en détruit encore 2000 autres. On va essayer de sauver ces emplois, faute de quoi nous assisterions au plus gros plan social du siècle. On va donc essayer de faire en sorte que ce ne soit pas le cas, car il y a une activité, il y a de l’espoir, donc tout ça n’est pas seulement lié à la crise mais bien évidemment au comportement des actionnaires. L’intérêt de cette période d’observation c’est qu’elle permet de protéger cette société de la pression de ses créanciers pendant ce temps là ».

 

camionsMais la direction, en réponse, met à son tour en cause les syndicats, qui depuis un an, ont obtenu l’annulation du licenciement de 200 personnes. Dans un communiqué de presse, Arcole Industries désigne donc comme coupable la CFDT, qui « contrairement aux engagements pris devant les pouvoirs publics (…) et devant le tribunal de commerce, n’a pas signé l’accord d’entreprise qui mettait en œuvre le Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et ses 2.800 suppressions d’emplois. L’homologation du plan social par l’administration a été annulée en justice, ce qui a eu pour conséquence la réintégration de plus de 200 salariés protégés (…) avec un impact financier colossal pour MoryGlobal », dénonce le groupe, pourtant spécialisé dans les entreprises en difficulté. L’actionnaire incrimine ensuite le Tribunal de Commerce de Pontoise, qui « n’a pas autorisé MoryGlobal à céder pour 25 millions d’actifs immobilier vides, non nécessaires à son exploitation, ce qui aurait permis à MoryGlobal (…) de conforter son plan de financement ».

 

mory_ducrosLa justice, qui s’est prononcée de nouveau ce mardi 10 février 2015, en faveur d’un nouveau redressement judiciaire… La procédure, qui gèle temporairement les dettes antérieures de l’entreprise, va lui permettre de poursuivre son activité. Mory Global échappe ainsi in extremis, une fois de plus, à la liquidation pure et simple, une « bouffée d’oxygène pour la société », estime Michel Ariba de Force Ouvrière. Un bol d’air qui « rassure les salariés », commente pour sa part Jean-Pierre Bizon, de la CFTC. Pour Eric Jahier, de la CFDT, toute la difficulté désormais, cela va être de « trouver quelqu’un qui veuille bien investir dans l’entreprise, un industriel dans l’idéal, car on veut en finir avec les fonds financiers qui souhaitent uniquement faire de l’argent », a-t-il précisé. Fait rarissime, d’ailleurs : le tribunal a décidé ce 10 février 2015 que les administrateurs judiciaires auront pour mission, pendant la période d’observation, de remplacer les dirigeants de l’entreprise, alors qu’en temps normal ils sont surtout chargés d’assister les cadres dirigeants et non pas de « faire le ménage ». « Cette décision est exceptionnelle et révèle le peu de confiance que le tribunal met dans l’équipe actuelle », note à ce propos la CGT dans un communiqué.

 

Mory Global, qui fait aussi travailler énormément de sous-traitants, permet actuellement à plus de 4000 familles de vivre. L’enjeu est donc de taille, économique mais surtout humain, alors que les ex-Mory Ducros, licenciés en 2014, sont pour la plupart toujours au chômage.

 

 

Marie MEHAULT