Hôpitaux : 3 milliards d’euros d’économies à trouver en 3 ans ! 4 mars 2015 Economie Marie MEHAULT Temps de lecture : 5 minutesC’est un document qui a « malencontreusement » fuité, un document tout ce qu’il y a de plus officiel… et qui provient tout droit du cabinet de Marisol Touraine, au ministère de la Santé. Publié par le magazine économique Challenges, qui se l’est procuré, il révèle les détails du plan d’économies drastique prévu pour les hôpitaux d’ici 2017 : pas moins de 3 milliards d’euros à trouver, par tous les moyens. Et évidemment, l’aspect le plus polémique de ce programme concerne ce que le ministère appelle la « masse salariale » : 860 millions d’euros qu’il faudra absolument réussir à « ne pas dépenser ». En clair, cela représente 22 000 postes à temps plein, toutes catégories de personnels confondues, soit 2% des effectifs totaux de la Fonction Publique Hospitalière. Un sujet brûlant, lorsqu’on sait que déjà, tous, des aides-soignants aux infirmières en passant par les médecins et les chefs de services, tout comme les chercheurs en laboratoires et les pharmaciens, se plaignent du manque de bras et de la surcharge de travail devenue chronique dans tous les établissements de santé, quelle que soit leur taille. L’idée n’est pas de licencier autant de monde à proprement parler, mais de ne pas remplacer les départs à la retraite et les postes libérés (mutations dans le privé, reconversion…). Sauf que tout le monde sait que, si l’on ne remplace pas ces postes permanents, et que, dans le même temps, on cherche à « maîtriser la masse salariales », donc en jouant sur la variable d’ajustement que représentent les vacataires et les intérimaires, aucun hôpital ne pourra plus raisonnablement fonctionner. En tout cas, certainement pas de manière optimale, ce qui est déjà loin d’être le cas… Après la fronde des internes (voir notre papier), qui se voient déjà limités dans leur nombre d’heures de travail en établissements hospitaliers, le sujet risque fort de provoquer des débats houleux. Il suffit de lire les commentaires des salariés concernés par le sous-effectif chronique à l’hôpital, pour s’en rendre compte : sur Jobvitae, Laure écrit ainsi : « la politique actuellement, vu l’état financier du système hospitalier public, est à la réduction du nombre de fonctionnaire (« il y en a trop » nous dit on ! « ça coûte cher » nous dit-on…). L’emploi à l’hôpital est précaire. On tire sur la corde de ceux qui y sont employés. On ne remplace pas les départs à la retraite. On embauche au maximum des « jeunes » en contrats aidés (ça ne coûte pas cher…). (Je suis contractuelle en CDD depuis plus de 6 ans dans un hôpital public) ». Gwenael, lui, commente ainsi notre article : « Quand il n’y aura plus personne pour soigner les malades dans les hôpitaux, peut-être que l’Etat comprendra que le personnel n’en peut plus ??? » Deuxième poste de dépenses sur lequel l’Etat attend des hôpitaux un effort de plus d’un milliard et demi d’euros : la prise en charge du patient. L’objectif, pour parvenir à ce montant d’économies : le développement de la chirurgie ambulatoire (400 millions d’euros d’économies espérés) qui permet au patient de rentrer chez lui le jour même d’une intervention, en entrant à l’hôpital le matin et en en sortant le soir (voir notre article). Autre piste pour dépenser moins pour soigner les malades, dans la même logique : raccourcir, de manière globale, les séjours à l’hôpital (600 millions d’euros d’économies espérés), pour les patients qui nécessitent d’y passer plusieurs jours et plusieurs nuits. « Qu’est-ce que ça va être », soupire Virginie, interrogée à la sortie de l’hôpital de Romainville, en Seine-Saint-Denis. « Je suis entrée pour une opération qui devait durer 30 minutes, elle a finalement duré deux heures trente, et on m’a mis douze broches au lieu de deux. Et bien on a voulu me faire sortir le soir même, malgré tout. Je me suis évanouie en me levant. Qu’à cela ne tienne, ils ne m’ont pas gardée : ils ont insisté pour qu’une amie vienne me chercher et que je reste dormir chez elle ! Economiser sur les postes de dépenses inutiles, pourquoi pas, mais économiser sur la qualité des soins… c’est une autre histoire ! » Enfin, le document révélé par la presse écrite évoque un objectif d’économies d’un milliard d’euros sur tout ce qui concerne la gestion matérielle et logistique des hôpitaux : mutualisation des achats, entre tous les hôpitaux de France, afin d’obtenir de meilleurs tarifs auprès des fournisseurs. Pourquoi pas, après tout, sauf que cela risque de rallonger énormément les délais de livraison, tous les établissements n’ayant pas les mêmes besoins au même moment. « Imaginez qu’un CHR soit en pénurie de tel médicament, à tel moment, et que ce soit une urgence absolue… faudra-t-il attendre qu’un quantum de commandes globales pour les hôpitaux du pays soit atteint, avant de se voir livrer les boîtes de médicaments ??? « s’interroge un cadre de santé, travaillant à l’hôpital pour enfants Robert Debré, en région parisienne, et qui souhaite rester anonyme. Le Ministère de la Santé n’a pas souhaité s’exprimer officiellement sur le sujet. Tout juste a-t-il fait ce commentaire laconique à l’AFP : « Les économies doivent s’entendre non pas comme une réduction des dépenses mais comme une évolution maîtrisée de l’augmentation des dépenses. Les efforts ne vont pas forcément se traduire par des coupes budgétaires ou des réductions de personnels, mais par un frein à la hausse des dépenses de santé ». De fait, le vieillissement de la population engendre chaque année une hausse naturelle des dépenses de santé de 3 milliards d’euros, en France. L’objectif de ce plan de rigueur serait donc d’enrayer l’aggravation chronique des déficits en matière de soins. Un argument qui ne convainc pas les professionnels de santé… une nouvelle grève est prévue le 15 mars 2015. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT