Intercités : du remue-ménage en perspective… et des voyageurs inquiets 4 juin 2015 Transport 1 Comment Marie MEHAULT Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Temps de lecture : 5 minutesLa nouvelle a fait la Une des médias la semaine dernière : branle-bas de combat au Ministère des Transports, et levée de boucliers des associations d’usagers et des écologistes… En perspective, une vaste réorganisation des réseaux Intercités, qui desservent aujourd’hui 340 gares en France et plus de 300 destinations. A l’origine de ce projet de restructuration : le rapport de Philippe Duron, député du Calvados, qui pointe le défaut majeur de ces trains : ils ne sont plus rentables. Hérités des trains grandes lignes, les fameux « trains corail », les Intercités ont une vocation d’aménagement du territoire : ils sont donc en grande partie financés par l’Etat. Problème : ils ne sont plus empruntés que par 100 000 voyageurs par jour pour toute la France. A titre de comparaison, le RER A en Ile de France, c’est plus d’un million et demi de voyageurs par jour ! Une perte de vitesse qui s’accentue, et nécessite donc de plus en plus de subventions, pour de moins en moins de voyageurs. Exemple : l’Intercité Bordeaux-Lyon est un trajet pour lequel le billet coûte 35€ au passager… mais 275€ à l’Etat ! Un prix de revient qui n’est pas viable, et surtout, un déficit qui s’accroît à vitesse grand V : 200 millions d’euros de pertes en 2010, 340 millions d’euros en 2014. Enfin, les Intercités sont aussi les plus vieux trains de France, et d’ici 2025, « plus aucun de ces trains ne sera apte à rouler », selon Philippe Duron. Dans son rapport, l’élu parle donc « d’urgence à moderniser le matériel roulant » : remplacer le vétuste par du neuf, réorganiser la maintenance. Il suggère aussi de supprimer un train Intercité de nuit sur deux, alors que la SNCF plaidait pour leur complète disparition. Le rapport s’oppose à une telle radicalité. Mais il préconise de mieux adapter l’offre à la demande touristique et à la saisonnalité : plus de trains de nuit l’hiver vers les Alpes et la Savoie pour les sports d’hiver. Plus de trains de nuit l’été pour la Côte d’Azur… entre autres exemples. Pour les Intercités de jour, le rapport Duron insiste sur l’impérieuse nécessité de « retrouver le chemin de la rentabilité » : développer les lignes les plus fréquentées, celles qui ont un vrai potentiel, par exemple Paris-Caen ou Paris-Limoges-Toulouse. Et trouver d’autres solutions pour les lignes sous-utilisées. D’abord, en essayant de rationaliser les lignes qui peuvent encore l’être : en diminuant le nombre d’allers-retours par jour et en réduisant le nombre d’arrêts intermédiaires, par exemple sur la ligne Paris-Rouen-Le-Havre ou Paris-Amiens. Ou bien, en mettant en place des correspondances plus pratiques. Enfin, en ouvrant certaines lignes à la concurrence. Pour les lignes vraiment trop déficitaire, le rapport suggère de supprimer purement et simplement les trains Intercités, tout en promettant aux usagers de leur garantir des solutions, quels que soient les territoires. L’idée : revoir les dessertes, en prenant en compte les autres offres de trains, mais aussi les autres moyens de transport. Ainsi, pour les courtes distances, les Intercités seraient remplacés par des TER, par exemple pour la ligne Caen-Le Mans-Tour. Autre exemple évoqué : l’Intercité Bordeaux-Nice, qui passe par Marseille. La cité phocéenne deviendrait le terminus de la ligne, puisqu’entre Marseille et Nice, il existe déjà une offre de TER et de TGV. Pour les lignes les moins fréquentées, Philippe Duron propose de leur substituer des autobus, par exemple entre Creil et Mantes-la-Jolie, ou entre Toulouse et Hendaye : lignes qui pourraient disparaître, les trains étant alors remplacés par des cars, avec plus de liaisons, et à des tarifs moins onéreux. Le gouvernement précise que ce rapport ne sera pas appliqué à la lettre, et qu’il s’agit juste du point de départ d’une longue négociation avec les collectivités locales, qui du coup, se verraient imposer un transfert de compétences onéreux. D’ailleurs, la fronde est déjà lancée… et elle vient, pour majeure partie, d’autres députés ! « Je ne partage pas le point de vue et les préconisations du rapport », explique ainsi le député socialiste de l’Allier, Bernard Lesterlin. « Ces liaisons sont indispensables pour le développement économique de nos petites villes du centre de la France. C’est un service public. Une addition de TER ne peut pas suffire. Nous nous battrons jusqu’au bout ». Autre député que le projet révolte : André Chassaigne, élu Front de Gauche du Puy-de-Dôme, qui réclame un débat parlementaire à l’Assemblée Nationale. « La mobilisation dépasse les clivages politiques », explique-t-il. « Des dizaines d’élus vont organiser un ‘Train de la Colère’ le 19 juin prochain : nous prendrons le train ensemble au départ de Montluçon pour nous faire entendre jusqu’au ministère des Transports, à Paris ». Sébastien Lecornu, maire UMP de Vernon et président du Conseil général de l’Eure, fait aussi partie des sceptiques : « Pour un élu, un train qui s’arrête dans sa commune, c’est vital. Si ce projet est mis à exécution, ce sera vraiment une régression sans nom ». Cécile Duflot, ancienne ministre des Territoires et du Logement, a elle aussi pris la parole le jour même de la publication du rapport Duron, pour dénoncer ce qu’elle estime être une « dégradation organisée et une situation absurde », et alerter sur « l’enclavement programmé de certains territoires », et sur une « aggravation certaine des fractures qui blessent déjà l’unité de notre pays, alors que la question de la mobilité pour tous est un enjeu de justice sociale et environnementale », et alors que dans le même temps, l’Etat « préfère financer une ligne Lyon-Turin aux montants faramineux dont toutes les études montrent que la rentabilité socio-économique est mauvaise ». Des élus, soutenus par de nombreuses associations d’usagers : « Supprimer des trains est impensable », explique Bruneau Gazeau, président de la Fédération des Usagers des Transports: « Entre les TGV et les TER, il ne peut pas ne rien avoir ! Il doit y avoir quelque chose pour desservir les villes de France. Je rappelle que le développement économique repose à la fois sur les grandes villes, bien desservies par les TGV, mais aussi sur les villes moyennes. Il faut donc que celles-ci soient desservies par des trains Intercités ». Pour Gérard Dupagny, président de l’association d’usagers A fond de Train, il faut que les régions interviennent pour éviter que les habitants des zones dans lesquelles seront supprimés les Intercités, ne soient pas à nouveau coupés de tout : « Pour moi, la compétence régionale c’est la bonne roue de secours », explique-t-il. « Il y a même quelque chose à creuser dans les régions transfrontalières, comme le nord ou l’est de la France, pour construire un partenariat avec les voisins européens. Les Intercités pourraient être prolongés de Paris jusque Charleroi en passant par Maubeuge. Je suis certain que cela intéresserait les Belges de Mons et de Charleroi, car ils n’ont plus de ligne pour Paris et ils sont nombreux à venir jusqu’à Maubeuge pour prendre le train pour Paris ». Le gouvernement devrait prendre sa décision d’ici fin juin. Une feuille de route est attendue d’ici l’été, mais il faudra, au mieux, attendre un an, avant de connaître la vraie réforme. Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Marie MEHAULT