Le séisme Mory Ducros : chronique d’une semaine mouvementée 25 novembre 2013 Transport 38 Comments Marie MEHAULT Facebook Twitter LinkedIn E-Mail Temps de lecture : 5 minutes« Mory Ducros, la société globale et performante, pour l’ensemble de vos besoins de transport ». C’était le slogan de cette société de messagerie et de transport, désormais au bord de la cessation de paiement. Car depuis la fusion, il y a un an, des sociétés Mory (en redressement judiciaire) et Ducros, ex DHL, déjà déficitaire, les difficultés se sont accumulées. D’ailleurs, la situation préoccupait l’ensemble des salariés depuis un petit moment déjà : « Moi ça fait longtemps que je suis dans la société, il y a déjà eu plusieurs rachats alors oui, forcément, je suis inquiet », nous racontait l’un des chauffeurs du site de Gonesse, en région parisienne, il y a quelques semaines. Pourtant, ce jeudi 21 novembre, il y avait encore de l’espoir parmi les troupes, lorsque nous sommes retournés les voir, sur les sites de Gonesse, de Lille, de la Courneuve et de Saint-Quentin. Un espoir faible, ténu, certes. Ils savaient que ce serait dur. Mais s’attendaient-ils au séisme qui leur tomberait dessus le lendemain ? Pas sûr, à en croire leurs discours, une dizaine d’heures avant que le couperet tombe : « Pour moi, des gens qui reprennent une entreprise en difficulté, c’est pour la relever, pas pour la laisser descendre », espérait un salarié, en Seine-Saint-Denis. Mais cet espoir là n’aura pas suffi à faire vivre la société. En 16 mois, Mory Ducros n’a pas cessé de dégringoler la pente. 80 millions d’euros de perte, pour un chiffre d’affaires de 760 millions d’euros. En janvier 2013, résiliation du contrat avec la poste, pour le marché du transport de colis. La société Mory Ducros entre à ce moment là dans le « carnet chaud » des entreprises suivies de près par le ministère du redressement productif, soucieux d’éviter un plan de restructuration et des milliers de suppressions de postes. En cette veille de Comité Central d’Entreprise, prévu pour le 22 novembre au matin, chacun y était donc allé de ses petits calculs, on savait que la coupe dans les effectifs serait sombre… Mais personne n’aurait cru que ce serait la faillite totale. « On a analysé, agence par agence, et on en a tiré la conclusion qu’on était entre 2500 et 3000 suppressions d’emplois sur tout le territoire, soit la moitié des troupes », nous expliquait Fabian Tosolini, secrétaire national de la Fédération des Transports, dans son bureau de la CFDT, jeudi soir dernier. La direction, elle, n’avait pas souhaité s’exprimer avant le CCE. Cela aurait peut-être du mettre la puce à l’oreille des syndicats. Et puis, le lendemain, à Torcy, en Seine-et-Marne, l’aube s’est levée sur le jour le plus morose qu’aient connu les salariés depuis des années, même si la dernière décennie n’aura pas été rose. Peu avant midi, ce 22 novembre 2013, à la sortie du Comité Central d’Entreprise, Renaud Sueur, le patron de Mory Ducros, n’a pas envie de parler. Il tente d’esquiver la presse, s’enfuit presque, à longues enjambées, yeux baissés. Mais les médias le rattrapent. Il finit par lâcher cette déclaration sans appel : « La semaine prochaine nous ferons une déclaration de cessation de paiement et nous demanderons au Tribunal de Commerce de Pontoise d’ouvrir une période d’observation dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire ». Mais le pire reste à venir : juste après, les syndicats du transporteur apprennent que les 2.000 à 3.000 licenciements qu’ils redoutaient se sont transformés en 5000 à 7000 emplois supprimés. L’entreprise ne se contente pas de « dégraisser ». Elle dépose le bilan. En clair : c’est la banqueroute. A l’issue de la période d’observation, il y aura soit un repreneur, soit une liquidation. L’ensemble des salariés risque de perdre son travail. Et chez les sous-traitants, du coup, ce sera aussi l’hécatombe. « C’est la bête qui part à l’abattoir. On prend un grand coup derrière la tête », déplore Denis-Jean Baptiste, représentant des salariés CFDT. On retrouve aussi sur place, à Torcy, Fabian Tosolini. Atterré par le décalage entre ses estimations et la réalité des chiffres annoncés. La catastrophe dépasse ses prévisions les plus sombres, ces prévisions qu’il évoquait la veille dans son bureau. « C’est un véritable cataclysme dans le monde du transport. Un plan de restructuration de cette ampleur, on n’a jamais connu ça. » Comme beaucoup d’entreprises du transport, Mory Ducros a subi la crise du fret de plein fouet. Le groupe a perdu un dixième de son chiffre d’affaires en 1 an. Alors, sur le site de Saint-Quentin où nous allons faire un tour, en début d’après-midi de ce sombre vendredi, les salariés sont choqués mais pas surpris. « Pendant toute l’année on a entendu que ça allait très mal. Et puis en fin de compte voilà ce qui arrive aujourd’hui. J’étais en train de rouler quand j’ai entendu ça, je me suis dit voilà, ça y est, l’épée de Damoclès est tombée. », raconte un chauffeur à bord de son camion. Les syndicats, eux, peinent à cacher à quel point la nouvelle les a assommés. La cessation de paiement, c’est bien pire que ce qu’ils redoutaient. « L’entreprise est touchée de plein fouet par la conjoncture économique, on le savait. Mais on ne pensait pas que c’était à ce point là », s’exclame l’un des représentants du personnel de Lille, où nous nous rendons ensuite. « Il y a de moins en moins de marchandises à transporter, on perd 5 millions d’euros tous les mois », analyse devant les micros et les caméras René Forestier, chauffeur routier nordiste. « Cela a commencé à merder quand DHL est arrivé, ensuite DHL a vendu derrière et Mory a racheté une boîte déjà lourdement endettée. Comment voulez-vous que ça marche ?! » En fin d’après midi ce vendredi 22 novembre, le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg est entré dans la partie. L’hypothèse d’un repreneur unique étant improbable, et pour éviter malgré tout la liquidation et la perte de 7000 emplois (5000 directs, 2000 indirects, on le rappelle), le ministre a annoncé qu’il pariait plutôt sur des reprises localisées. Il en a également appelé aux préfets de régions : « Nous leur avons donné pour instruction de rechercher, en liaison avec les chambres de commerce et les élus, des repreneurs de sites locaux, qui reprendraient les employés locaux que sont les salariés de Mory Ducros, et les marchés correspondants », a indiqué le ministre lors d’une conférence de presse à 17H à Bercy. Un peu partout en France, 85 sites sont concernés par ce message. Ce lundi 25 novembre au matin, ultime rebondissement d’une semaine mouvementée : Arcole Industries, actionnaire principal de Mory Ducros, fait savoir qu’il ne se désintéresse pas totalement de l’avenir du groupe : si d’autres repreneurs se manifestaient pour un sauvetage commun, Arcole Industrie souhaiterait intégrer le partenariat, et ferait une offre de reprise partielle… à condition d’avoir le soutien des pouvoirs publics. Beaucoup de « si » qui ne lèvent pas vraiment le voile venant d’obscurcir l’horizon des salariés…. Mais un espoir ténu, tout de même. 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