Les grèves dans la santé : le point de vue des patients

12 janvier 2015 Santé Marie MEHAULT
Temps de lecture : 5 minutes

urgentisteOn a beaucoup parlé ces derniers temps des grèves dans la santé, et exposé le sentiment et l’indignation des différents établissements et médecins grévistes. Aujourd’hui, nous voulions vous proposer le témoignage des patients, confrontés à ces grèves et forcément victimes des conséquences de ce mouvement de grogne de très grande ampleur. Des médecins, qui ont encore manifesté dans les rues de Lyon, ce lundi 5 janvier 2015, pour dénoncer la généralisation du tiers payant d’ici à 2017. « La généralisation du tiers payant est une mesure inutile, coûteuse et irréaliste. Les contraintes techniques du dispositif sont trop lourdes, tandis que les plus pauvres, couverts par la CMU (couverture maladie universelle), bénéficient déjà d’une dispense d’avance de frais », estime ainsi Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français.

 

patientDes médecins, dont les revendications sont plus ou moins bien comprises par les patients, qui commencent à faire sérieusement les frais de ce mouvement : ainsi, pour Etienne Caniard, le président de la Mutualité Française qui représente les mutuelles de 6 Français sur 10, « on est face à une instrumentalisation, car la mutualisation du tiers payant permettrait au contraire d’enrayer le renoncement aux soins de certains assurés. Lors de l’installation de la CMU, on a eu une hausse de la consommation de soins des bénéficiaires. Mais c’était un effet de rattrapage. En moins d’un an, on est revenu au niveau moyen français. Le tiers payant ne déresponsabilise pas les patients, et pourrait même responsabiliser les médecins qui pratiquent des dépassements ».

 

feuille_soinsLe Ciss (Collectif Inter associatif sur la Santé), grand collectif d’associations de patients, tient un discours analogue : « Beaucoup de gens se prennent de plein fouet les frais de santé », regrette ainsi Christian Saout, secrétaire général délégué du Ciss. « La grève administrative lancée par les syndicats de médecins libéraux pour dénoncer la généralisation du tiers payant et le projet de loi de santé relève de l’acharnement contre tous ceux qui rencontrent des obstacles financiers pour accéder aux soins, soit 16 % des Français ! ». La grève des remboursements, sorte de guerre de position qui succède aujourd’hui à la grève des cabinets, est particulièrement mal reçue par les patients, qui seront forcément les premiers gênés par le renoncement à la télétransmission : « Renoncer à télé-transmettre la feuille de soins électronique et remettre au patient une feuille de soins manuelle, que ce dernier devra adresser à sa caisse, aura inévitablement pour conséquence de différer le remboursement à plusieurs semaines, voire plusieurs mois si cette stratégie de contestation de la loi Touraine est massivement appliquée ».

 

greveUne « double peine pour les patients », qui réagissent assez vivement sur les forums consacrés au sujet sur internet : « dans une grève chacun a le choix des armes. Mais avec le refus d’établir une feuille de soins, c’est le patient qui est visé au porte monnaie. Ceux qui n’ont pas d’argent pour faire l’avance de frais n’ont pas non plus d’argent pour attendre un remboursement différé. Pourtant l’article 2 du code de déontologie médicale prescrit que le médecin exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité », écrit ainsi Alain, manifestement remonté contre la grève. « Une escalade absurde source de ruptures sociales, tout ça pour une supputation, puisque la généralisation du tiers payant n’est prévue que pour 2017, justement pour déterminer les conditions techniques adéquates d’un modèle acceptable pour tous. Les médecins semblent estimer cela impossible, sans vraiment expliquer pourquoi. Pourtant, d’autres professions de santé y sont parvenues ! », témoigne aussi Francine, secrétaire médicale.

 

medecinSur d’autres sites, on peut encore lire des commentaires qui trahissent le sentiment d’injustice de certains patients : Samia, par exemple, indignée par l’attitude des médecins grévistes : « tout ça alors que les cotisations sociales des médecins sont payées pour une part non négligeable par l’Assurance maladie. C’est à dire par les assurés sociaux. Qui seront heureux d’apprendre qu’en contre partie on leur refuse le tiers payant, et qu’en plus ils seront remboursés aux calendes grecques ! ». « J’ai lu que d’après l’un des syndicats appelant à la grève des feuilles de soins, la rémunération des médecins généralistes a augmenté de 29 % entre 2005 et 2013 », note également Michel. « C’est beaucoup plus que l’augmentation moyenne de la rémunération des Français sur la même période ! Un peu d’égards pour ceux qui financent de telles augmentations ! A commencer par la majorité des Français pour qui les délais de remboursement sont un réel problème ». Des patients, qui ont donc le sentiment de « trinquer », et le sentiment aussi que les médecins grévistes sont « unis dans la grève, mais aussi unis pour mettre les citoyens en difficulté dans l’accès aux soins », s’indigne Elodie. « Le droit de grève est protégé par la constitution. La santé publique et la sécurité sanitaire tout autant », rappelle Sandrine, toujours sur le net.

 

hopitalCe qui, semble-t-il, trouble aussi notablement les patients dans cette grève, c’est l’impression que les revendications des médecins en grève composent une sorte de fourre-tout où l’on parle du tiers payant, mais aussi de temps de travail hebdomadaire ou encore, d’augmentations de salaires, et encore d’augmentation des tarifs pour les consultations… Des revendications pécuniaires, notamment, assez mal acceptées par les Français, en pleine crise économique et alors que leur pouvoir d’achat diminue. « Les médecins font valoir que leur rémunération est plus faible que celles des médecins allemands ou britanniques, c’est vrai, mais les médecins français refusent les contraintes qui pèsent en échange sur les médecins en Allemagne ou en Grande-Bretagne », écrit Marylise, médecin généraliste non gréviste et qui comprend le « désarroi des patients ».

 

medecinsSeuls les médecins urgentistes parviennent à conserver la sympathie et le soutien des patients : «Je les soutiens à 100% », témoigne ainsi Lysiane. « C’est inadmissible ce qu’il se passe dans les hôpitaux. Ils travaillent dans des conditions déplorables ». Pour Laetitia, « Quand les Français sont bien contents de ne travailler que 35h par semaine, pensez-vous que les urgentistes doivent en faire autant ? Et quand ils sont en service depuis plus de 12h, pensez-vous que ces médecins soient toujours frais pour prendre les meilleures décisions, qui sont parfois question de vie ou de mort ? ». Pour le reste, le sentiment des patients sur les grèves dans la santé semble avoir nettement évolué : alors que, il y a quelques semaines encore, un sondage estimait que les Français soutenaient majoritairement les mouvements de protestation des médecins, le fossé se creuse aujourd’hui. Après la grève des cabinets, la grève des feuilles de soins est un peu « la goutte qui fait déborder le vase ». Et, bien qu’ayant presque tous de la sympathie pour leurs médecins, de plus en plus de patients se manifestent désormais pour dénoncer tout à la fois des dépassements d’honoraires excessifs, des déserts médicaux de plus en plus étendus, et un accès aux soins qui ne cesse de se dégrader.

Marie MEHAULT