Nationalisation de STX : le coup d’éclat du gouvernement en faveur du transport naval

28 juillet 2017 Economie 0 Comments Marie MEHAULT
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Les chantiers navals de Saint-Nazaire seront donc nationalisés : annonce fracassante du ministre de l’Economie Bruno Lemaire ce jeudi 27 juillet 2017, dans l’après-midi, assortie d’un chiffre : 80 millions d’euros. Voilà le prix accordé par Emmanuel Macron et son gouvernement à l’activité navale en France. Un symbole, et un coup d’éclat fort, vis-à-vis d’un partenaire européen pourtant important : l’Italie. Pourtant, au départ, le gouvernement de François Hollande avait donné son feu vert à une prise de contrôle des chantiers historique de France par le pavillon italien. C’était en avril dernier. Juste avant l’élection présidentielle en France. Mais le nouveau président et sa majorité ne l’entendaient pas de cette oreille, et ils n’ont pas hésité à remettre en cause l’arrivée majoritaire du constructeur Fincantieri à hauteur de 55% dans l’entreprise tricolore. Plus question pour l’Etat français de se contenter des 33% jusqu’alors négociés.

 

Faute de parvenir à un accord avec le repreneur italien sur la base d’une participation fifty fifty (50-50), Bercy a finalement tranché : STX sera tout bonnement nationalisé. Une décision historique. Surtout quand Bruno Lemaire argumente : « il s’agit pour nous de pouvoir continuer à peser dans la balance pour la défense de l’emploi sur ces chantiers », a-t-il expliqué, alors que la politique industrielle de Fincantieri suscitait l’inquiétude des syndicats et des salariés. « Il s’agit ici de défendre un fleuron de l’industrie nationale française, et rester à 50-50 dans STX était une proposition qui permettait non seulement de rester vigilants sur l’emploi, mais aussi sur le développement des compétences comme du territoire », a-t-il ajouté. « Saint-Nazaire est stratégique, nous refusons de prendre le moindre risque d’en laisser une majorité à des investisseurs étrangers ». Face au refus du partenaire italien, l’Etat français a donc exercé ce que l’on appelle son droit de préemption, c’est-à-dire racheter les parts de l’adversaire pour rester majoritaire et se laisser le temps d’aviser pour la suite.

 

Du côté des salariés de STX, les réactions sont variables. Au départ, seule Force Ouvrière militait historiquement pour une nationalisation.  Puis l’intersyndicale tout entière s’était rangée derrière l’idée quand les choses avaient commencé à aller moins bien sur site, il y a dix ans. STX était au bord de la faillite, alors, mais l’Etat avait refusé de s’engouffrer là dedans. Aujourd’hui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’existe plus de consensus au sein de l’intersyndicale, et les dissensions se sont à nouveau creusées : la CFE-CGC est ainsi repassée du côté des opposants à une tutelle étatique, par préférence pour les commandes de clients privés, tandis que la CFDT se « tâte », pas forcément hostile à l’idée d’une nationalisation en soi mais redoutant les délais sans fin et la lourdeur administrative du secteur public. La CGT de son côté, n’est pas très loquace sur le sujet, pour une raison simple : au sein même de l’organisation syndicale les avis divergent.

 

Du côté de l’Elysée, même pas un sourcillement lorsque Rome a refusé la proposition à 50-50. Manifestement, le jeune président de la République n’est pas du style à tenter des effets de manche sans avoir les moyens d’aller au bout. Et stratégiquement, l’argument est de taille : il s’agit pour la France de garder toute sa souveraineté en matière de construction navale… une position logique pour un président qui se dit volontiers jupitérien. « Saint-Nazaire dispose d’un bassin d’envergure hors norme, 800 mètres, capable d’accueillir à la fois des porte-avions et des paquebots géants, c’est un atout rare sur les côtes européennes où il est idéalement situé, entre la Mer du Nord, la Manche au dessus et la Méditerranée en dessous, et face à l’Atlantique. Face aux enjeux stratégiques, militaires, civils, sociaux, économiques et politiques, 80 millions d’euros ce n’est rien », estiment les experts qui connaissent le dossier. « Il y a aussi le risque réel, dans ce type de mainmise étrangère, d’un pillage technologique avant liquidation pure et simple ».

 

Aux Italiens qui rétorquent qu’Emmanuel Macron a beau jeu de mettre en avant dans tous ses discours ses valeurs européennes et son attachement à une coopération industrielle des membres de l’Union, alors que dès qu’on entre dans le concret il nationalise, l’Elysée et Bercy rétorquent d’une même voix que les Italiens sont les bienvenus au sein de STX, et que la proposition d’une participation de Rome et de Paris à 50-50 était de parfaitement bonne volonté. Mais il y  une différence, estiment le président de la République et son ministre de l’Economie, entre une alliance équitable et le sacrifice d’une position stratégique dans une activité qui ne l’est pas moins, stratégique, sur l’hôtel de Bruxelles.

 

Autre argument du pouvoir français pour préserver son fleuron naval : la proximité des Italiens avec la Chine, Fincantieri coopérant avec de nombreux chantiers chinois de construction de paquebots, avec la bénédiction et les encouragements des Américains comme l’armateur Carnival Corporation, client numéro 1 de Fincantieri depuis plusieurs décennies. D’ici 5 ans, les chantiers de Shangaï devraient commencer à produire des répliques de navires construits pour Carnival par Fincantieri. Hors de question, pour Emmanuel Macron, de prendre le même risque de transfert de compétences et de savoirs faire. « Même si pour l’instant la Chine et les Italiens jurent leurs grands dieux que cela ne concerne que la production de navires de croisière, qui dit que bientôt, Shangaï ne produira pas des navires de commerce ou de guerre grâce au savoir faire apporté sur un plateau par Fincantieri ? », s’interroge un économiste spécialiste du transport maritime. « On se doute bien que tôt ou tard les Chinois réussiront à fabriquer des bateaux par eux-mêmes, mais à quoi cela sert-il de leur faire gagner des années de recherche et développement alors qu’ils seront, demain, nos concurrents les plus féroces ? Avec leurs coûts de production bien en deça des nôtres, ils seront des rivaux redoutables. Dans ce contexte, Paris a plus que raison de garantir au maximum ses savoirs faire, son ingénierie et sa propriété intellectuelle sur les chantiers nazairiens ».

 

Pour Emmanuel Macron, il s’agit aussi de voir plus loin que l’horizon 2026, date jusqu’à laquelle les carnets de commande de Saint-Nazaire sont pleins. Ce que l’on appelle, dans le jargon, le « plan de charge ». S’il avait laissé l’Italie devenir majoritaire chez STX, Fincantieri aurait eu tout loisir de répartir, au-delà de 2026, les commandes de ses clients sur ses différents sites et forcément, de privilégier ses marchés italiens, alors que le marché du transport naval est par définition un marché cyclique : après tout cycle de commandes importantes, l’activité se ralentit, jusqu’à ce que l’usure des bateaux justifie à nouveau un cycle de commandes importantes. 72% du capital du constructeur vert blanc rouge appartenant à l’Etat italien, quoi de plus logique si la conjoncture se tend pour le secteur du naval ?

 

En nationalisant, l’Etat français se prémunit contre ces incertitudes et se laisse le temps de réfléchir à une meilleure alternative. La préemption reste en effet un levier d’action momentané, qui donne simplement le temps d’un nouveau tour de table des différentes parties. Ce 27 juillet 2017, Emmanuel Macron l’a bien rappelé : il souhaite un accord « qui fasse une large place à Fincantieri » (source : Elysée). La préemption est donc une solution temporaire qui doit permettre de travailler plus sereinement, sans les contraintes de la procédure judicaire qui, jusque là, obligeait le gouvernement français à agir dans des délais extrêmement serrés et donc, à poser un ultimatum à son partenaire italien. Qu’il faut, tout de même, ménager un peu : en effet, d’autres discussions sont en cours avec Fincantieri sur le segment des navires militaires, avec Naval group, cette fois. L’Etat pourrait ainsi tenter de négocier une répartition plus équilibrée des parts, en laissant davantage de place aux armateurs historiques de Saint-Nazaire mais aussi, pourquoi pas, aux Allemands, qui se montrent eux aussi très intéressés par STX.

 

 

Marie MEHAULT