Nés sous X : souffrance des enfants, souffrance des parents

27 novembre 2014 Société Marie MEHAULT
Temps de lecture : 7 minutes

mereC’est l’histoire d’un père biologique, qui découvre pendant sa peine de prison que son ex-compagne a attendu un enfant de lui, et qu’elle a accouché sous X, abandonnant son bébé, depuis adopté par une famille d’accueil. Cette affaire a fait la Une des médias ces derniers jours, et relancé le débat sur les naissances sous X, dont l’encadrement légal ne satisfait personne…. Si tant est que des lois puissent un jour régler les souffrances émotionnelles de toutes les parties, dans ce genre de cas.

 

Ne_sous_XCar naître sous X, qu’est-ce que cela veut dire ? « Lors d’un accouchement dans un établissement de santé (public ou privé conventionné), une femme qui souhaite garder l’anonymat peut demander le secret de son admission et de son identité. Aucune pièce d’identité ne peut lui être demandée et aucune enquête ne peut être menée », nous explique un médecin gynécologue obstétricien de l’hôpital Jeanne de Flandres, à Lille. L’accouchement sous X, c’est aussi ce que l’on appelle, en droit français, un accouchement secret. Bien sûr, il est strictement encadré, et rien n’est fait à la légère.

 

grossesseLors de son admission dans l’établissement de santé, par exemple, la parturiente qui déclare vouloir accoucher sous X est longuement prise en charge par des médecins, psychologues et assistantes sociales, qui lui expliquent les conséquences de l’abandon de l’enfant sur le développement de ce dernier, les lacunes qui vont entacher sa construction personnelle, s’il ne possède aucune information sur son histoire et ses origines. La mère biologique a aussi le choix de laisser son identité sous pli fermé ; on lui explique encore qu’elle peut, si elle en a besoin, disposer d’aides publiques variées pour élever son enfant si elle décide de le garder, même dans des conditions difficiles. Enfin, elle est informée des délais et conditions sous lesquels elle peut reprendre le bébé auprès de l’aide sociale à l’enfance (Ase). La mère dispose en effet d’un délai de 2 mois pour reprendre l’enfant. Le père, lui, peut reconnaître son enfant né sous X dans les 2 mois qui suivent la naissance. À l’issue de ce délai, le nourrisson est placé dans une famille adoptive, ce qui rend toute reconnaissance par les parents biologiques irrecevable.

 

naissanceL’accouchement sous X n’est donc, on s’en doute, une partie de plaisir pour personne. Et certainement pas pour l’enfant, qui doit grandir avec « le néant pour racines », selon les mots d’Aurélie. « Je suis née sous X. Je l’ai toujours su et cela m’a toujours fait beaucoup réfléchir », témoigne ainsi la jeune femme. « Naître sous X, cela veut dire ne rien savoir sur soi-même, sur ses origines. Ne pas savoir d’où je viens a toujours été assez difficile pour moi. Par des démarches, j’ai pu apprendre pourquoi je suis née sous X, mais bien sur je ne sais toujours pas quel nom mettre derrière ce X … Je n’en veux pas à ma mère d’avoir accouché sous X, mais elle me manque, et de plus en plus … ». Une souffrance parfois difficile à canaliser : pour certains, c’est toute la vie qui bascule en apprenant la vérité. « J’ai 26 ans, je suis née « sous X » », raconte Maïté. « J’ai tenté d’avoir des éléments sur ma naissance, malheureusement cela se solde toujours par un échec…. Je suis dégoûtée de cette démarche d’abandon, j’ai de graves soucis de santé et bien sur aucune information sur mes antécédents… C’est dur d’arriver à se construire, même si l’on a des parents « adoptifs ». Je n’aime pas ce mot, car pour moi ce sont mes seuls parents, le terme adoptif n’a donc pas sa place quand je parle d’eux. Je me pose de plus en plus de questions, dans le sens ou je vais bientôt me marier, et que nous parlons de plus en plus d’avoir un enfant… Pour ma part, je ne sais actuellement plus quoi faire pour avancer, pour continuer à me construire sereinement et essayer de combler ce vide. »

 

bebeMais pour les mères accouchant sous X, c’est aussi le plus souvent une souffrance. On les pense froides et détachées, alors que la plupart du temps, elles se sentent contraintes de faire ce choix et le vivent très mal. Les témoignages sont beaucoup plus difficiles à obtenir, mais celles qui l’ont vécu le disent toutes : pour elles aussi, c’est douloureux, voire impossible de tourner la page, et beaucoup avouent être hantées, depuis, par l’image de cet enfant porté dans leur ventre pendant de longs mois, puis abandonné. « Quand j’ai accouché à la maternité de Caen, je sortais d’un déni de grossesse depuis plusieurs mois », raconte Chantal, 49 ans aujourd’hui. « Je ne me sentais pas capable de devenir mère, pas assez mûre, pas assez réfléchie. Pas assez solide non plus, moralement, financièrement et psychologiquement. Je n’ai pas voulu nouer de liens avec mon nouveau-né et j’ai accouché sous x. C’était la seule décision qui me semblait raisonnable. A l’époque, je devais me débrouiller toute seule, j’étais séparée du père du bébé, qui n’aurait de toute façon jamais voulu reconnaître l’enfant. Je travaillais comme femme de ménage, de nuit, dans une grande entreprise, 7 jours sur 7, et je squattais un logement insalubre avec des amis. Comment aurais-je pu être une mère digne de ce nom dans ces conditions, du jour au lendemain ? Je ne l’ai jamais regretté, même si j’y pense souvent. Je sais que ma fille a grandi dans une famille aimante et dans des conditions dix fois meilleures que celles que j’aurais pu lui offrir. »

 

reconnaissancePour toutes celles qui sont perdues et qui hésitent, d’ailleurs, le droit français prévoit pour l’enfant, la possibilité de retrouver sa mère biologique à l’âge de 18 ans, si elle accepte de laisser son identité sous pli fermé, au moment de l’accouchement. C’est un choix qui laisse une toute petite porte ouverte à ces femmes souvent désorientées, obligées de se décider dans l’urgence. Les deux mois de délai pour changer d’avis, après la naissance, sont aussi très importants. C’est ce qui a permis à Nicole de réaliser qu’elle voulait élever son enfant, né sous X quelques semaines auparavant : « J’ai changé d’avis seulement une semaine avant l’expiration du délai. Je n’arrêtais pas de pleurer, j’avais honte de moi, je ne pouvais pas en parler autour de moi parce que je me sentais criminelle. Je crois que si j’avais laissé passer cette chance, je me serais suicidée. Et je n’ai jamais regretté d’avoir récupéré mon bébé, alors que si je ne l’avais pas fait je n’aurais plus jamais réussi à me regarder dans la glace. La loi est bien faite. Grâce à l’accouchement sous x on peut donner une chance dans la vie à un enfant qu’on ne veut ou qu’on ne peut pas assumer. Mais elle donne aussi heureusement assez de temps pour changer d’avis. C’est très important d’avoir le choix. J’ai tout expliqué à mon fils et il m’a pardonné. »

 

enfantEt les pères, dans tout cela ? Revenons sur cette affaire, largement évoquée depuis lundi (24 novembre 2014, ndlr). Yohann D. était incarcéré, en 2013, au moment de l’accouchement de son ex-compagne, qui lui avait caché sa grossesse pendant plusieurs mois. Il l’a appris quatre mois avant la date prévue pour la naissance, et a aussitôt déposé une demande de reconnaissance en paternité… qui n’a été enregistrée par les services administratifs que deux jours après la naissance du petit garçon. Deux mois furent encore nécessaires à Yohann D. pour organiser sa défense… Et, à quelques heures près, il a vu expirer le délai lui permettant de récupérer son petit garçon, adopté le jour même par une famille d’accueil. Ce père et cette mère adoptifs qui, depuis, ont élevé le petit garçon comme s’il était le leur. Il est aujourd’hui âgé de 18 mois.

 

L’affaire a fait les gros titres des médias, ces derniers jours, parce qu’elle ravive une polémique qui dépasse largement le cadre intime de cette histoire familiale précise. Les bébés nés sous X cristallisent tant de sentiments contradictoires, ils font écho à tant de vécus différents, que le débat suscite, à chaque nouveau fait d’actualité, des réactions extrêmement violentes. La démarche de ce père biologique, mais aussi la réaction des parents adoptifs, ou encore les jugements contradictoires rendus successivement par des tribunaux (qui en faveur du père biologique, qui en faveur des parents adoptifs), sont autant de sujets qui font forcément réagir la société civile.

 

hopitalAinsi, comment ne pas plaindre ce père biologique, qui rêvait d’un bébé avec sa compagne, qui avoue avoir « pensé à cet enfant durant tout le temps pendant lequel il purgeait sa peine, imaginé comment il allait l’élever, se racheter de ses délits pour offrir à son fils une enfance à la hauteur », qui s’est battu juridiquement, engouffré « corps et âme dans une véritable course contre la montre » pour tenter de faire valoir sa paternité et de récupérer cet enfant  « dans les veines duquel coule son propre sang » ? Et, d’autre part, comment ne pas plaindre ces parents adoptifs, aujourd’hui éplorés à l’idée de devoir peut-être un jour rendre leur enfant, un garçonnet qu’ils ont « désiré plus que tout, élevé du mieux possible, avec tendresse, amour, générosité », pour lequel eux aussi ont bâti des projets, nourri des ambitions, et qu’ils ne peuvent plus regarder sans ressentir sur leurs épaules le poids de cette « épée de Damoclès » au dessus de leurs têtes ?

 

Dans tous les cas, quelle que soit l’issue de ce genre d’affaire, elle provoque fatalement un drame intime et personnel dans l’un des deux camps. Pour les parents adoptifs, qui ont construit leur vie et leur identité autour de cet enfant adoré depuis près de deux ans ; ou pour le père biologique, qui crie au « vol d’enfant » et jure qu’il ira, s’il le faut, jusque devant la Cour des Droits de l’Homme Européenne.

Marie MEHAULT