Pauvreté, chômage, santé : les écarts se creusent de plus en plus, en France 26 février 2015 Société Marie MEHAULT Temps de lecture : 5 minutesC’est un rapport publié par la Fondation Abbé Pierre au début du mois de février qui a mis les pieds dans le plat : ces dix dernières années, en France, le nombre de personnes sans domicile fixe a été multiplié par deux. Les chiffres, avancés dans le rapport, font froid dans le dos : « près de 10 millions de personnes sont en situation de fragilité par rapport au logement, dont 3,5 millions de mal-logés au sens strict, c’est-à-dire sans domicile, en chambre d’hôtel, en camping, dans des abris de fortune, des logements insalubres… « , analyse Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation. « Les expulsions n’ont pas fléchi. En 2013, 120 000 décisions d’expulsion pour impayés ont été rendues. Dans le même temps, 1,8 million de ménages sont en attente d’un logement social, alors que seulement 450.000 sont attribués chaque année. La situation s’est aggravée également pour les plus exclus : le nombre de SDF a augmenté de 50 % en 10 ans, avec 141 500 adultes et enfants concernées en 2012. Le nombre de familles concernées a bondi ». L’INSEE, l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, fait le même constat : « Avec la crise économique, la pauvreté et les inégalités se sont accentuées en France. Les situations de pauvreté se sont multipliées dès le début de la crise économique de 2008, s’accompagnant d’un accroissement des inégalités. Avec à la fois une baisse du niveau de vie des plus modestes, et une augmentation de celui des plus aisés« , explique Caroline Dadoun, statisticienne spécialiste de la pauvreté et des inégalités, pour l’INSEE. « Présente dans les grandes villes, la pauvreté concerne aussi de façon parfois plus intense qu’auparavant les territoires ruraux. La pauvreté est de plus en plus visible dans les villes, car elles abritent davantage de ménages modestes. Mais quand on compare le niveau de pauvreté entre les zones, l’écart est nettement plus marqué dans certaines zones rurales par rapport au niveau national. Ce sont d’abord des zones souvent éloignées des pôles d’emploi, en moyenne un actif sur cinq s’y déclare au chômage, ce qui peut en partie expliquer le bas niveau des revenus. Des facteurs de fragilité sociale s’ajoutent à ces difficultés d’accès à l’emploi : 18 % des familles y sont monoparentales. Autre explication : l’accroissement de la pauvreté des retraités, qui concerne de plus en plus de monde avec le vieillissement de la population ». Mais les inégalités territoriales se creusent aussi, entre les différentes régions de France. L’INSEE, parle même d’un « couloir de pauvreté », qui passe du Nord de la France à la Seine-Saint-Denis, et de l’Aquitaine à l’Hérault, en passant par le centre de la France. Un couloir, qui relie tristement Calais, Roubaix, Valenciennes, Le Mans, Poitiers, Limoges, Nîmes, Carcassonne ou Perpignan. 19% des habitants de ce « couloir de pauvreté » vivent avec 900 euros mensuels pour vivre, en moyenne. Des petits commerces fermés, un chômage à 21%, c’est-à-dire deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Les recours aux minima sociaux y sont aussi de plus en plus nombreux. La population couverte par le RSA a augmenté de 13 % dans l’Hérault, par exemple, ces dernières années. 99 600 bénéficiaires (allocataires et autres membres du ménage) fin 2012, selon l’INSEE, sans doute bien plus encore aujourd’hui. Presque un Héraultais sur 10 bénéficie aujourd’hui du RSA, un peu moins de 10%, contre 6,6 % au niveau national. Des victimes de la crise, évidemment. Mais aussi, de la faible revalorisation du Smic horaire ces dernières années, et de la hausse constante des emplois à durée limitée ou à temps partiel. « On est abandonnés ici, complètement lâchés. On est le fin fond du pays », témoigne Julien, 25 ans, rencontrés par le biais de la Banque Alimentaire, dans le centre de la France. « Je ne trouve pas de boulot parce que je n’ai pas les moyens de me payer le permis. Mais ce n’est pas le réseau de bus existant qui va m’aider à trouver une solution ! » On considère aujourd’hui que plus de 8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France. En témoignent des associations d’entraide, comme les Restaus du Cœur. Qui fêtent cet hiver 2014-2015, un nouveau triste record. Avec une fréquentation en hausse de 16%. « En France, jamais les inégalités entre les classes sociales n’ont été aussi importantes », estime l’ONG Oxfam, qui a publié fin janvier 2015 une étude selon laquelle « le fossé se creuse entre un monde de riches qui ne s’est jamais aussi bien porté − on compte, en France, plus de 2 millions de millionnaires − et une classe moyenne qui craint le déclassement, pendant que les pauvres sont toujours plus pauvre ». Des disparités, qui se répercutent fatalement sur la santé des populations concernées par cette paupérisation galopante, en France. Le 12 février 2015, la Drees, la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques, publiait ainsi à son tour un état des lieux… sans équivoque : « L’état de santé en France est globalement bon en regard des principaux indicateurs mais de nombreuses disparités persistent. Les disparités entre femmes et hommes, notamment en matière d’espérance de vie, tendent à se combler. En revanche, les disparités sociales demeurent », note l’étude. « A âge et à sexe égal, la présence de problèmes de santé est liée à la position sociale et au niveau d’études. Le risque de maladie ou d’une mortalité prématurée diminue tout au long de la hiérarchie sociale. Les conditions de vie et de travail, les modes de vie et les comportements à risque peuvent expliquer ces inégalités : l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre cadres et ouvriers atteint 6,3 ans pour les hommes et 3 ans pour les femmes. Cette inégalité sociale se mesure aussi avant la naissance (taux de prématurité et de petit poids de naissance plus élevé chez les femmes aux revenus faibles) et pendant l’enfance (état de santé buccodentaire, surcharge pondérale ou obésité) ». Dans un communiqué de presse, le Ministère de la santé enfonce le clou : « Les enfants d’ouvriers ont 10 fois plus de chances d’être obèses que les enfants de cadres. Ces inégalités vont même se loger dans les dents : plus d’un enfant sur deux (53 %) appartenant à une catégorie sociale défavorisée a au moins une carie, contre 26 % pour le fils ou la fille du cadre. Même écart si l’on compare le port de lunettes, ou la pratique d’une activité physique : 27 % contre 54 % ». Du simple au double. 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