Suicide à l’hôpital Cochin, hospitaliers et travailleurs sociaux en grève… rien ne va plus chez les soignants

7 mars 2017 Santé Marie MEHAULT
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7Ce mardi 7 mars au matin, un salarié de l’hôpital Cochin, à Paris, a été retrouvé mort sur son lieu de travail. Affecté au secteur de l’information médicale, il s’est suicidé sur place, après 2 ans de service à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris. C’est l’APHP elle-même qui a communiqué l’information à la presse : « Des difficultés fonctionnelles et relationnelles avaient été identifiées dans ce service, une enquête avait été menée en interne et la situation semblait moins problématique depuis quelques temps. Malgré cela nous avions décidé de procéder à un audit pour compléter les nouvelles règles d’organisation mises en place, qui n’étaient manifestement pas suffisamment efficaces puisque malgré le fait que cela allait légèrement mieux, des difficultés très nettes persistaient », confie un cadre de santé de l’établissement, sous couvert d’anonymat.

 

5 CochinPour les syndicats et certains membres du CHSCT, qui se confient en « off », c’est-à-dire de manière anonyme, aux journalistes présents sur les lieux ce matin, cette situation particulière est tout simplement le symptôme d’une crise globale de la santé en France, et révèle « dans quel état nous nous trouvons tous, en termes de fatigue physique et psychologique. D’ailleurs, comme par hasard, au même moment ce mardi 7 mars 2017, plusieurs milliers d’infirmiers, d’aides soignants, d’assistants sociaux ou encore d’éducateurs spécialisés sont dans la rue pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. La semaine dernière c’étaient les dentistes et les étudiants en dentaire. Les orthophonistes sont aussi en pleine dépression professionnelle. Croyez vous vraiment que ce soit une coïncidence ? », demande un représentant du personnel à Cochin.

 

9 manif Denfert RochereauDe fait, ce matin du 7 mars 2017, plus de quarante villes françaises sont investies par des manifestants de la santé. Nous sommes allés place Denfert Rochereau, à Paris, où ils étaient
plusieurs milliers à s’être donné rendez-vous, tous corps de métiers confondus. « Nous manquons de personnel, nous manquons de moyens, nous manquons de reconnaissance, nous manquons de tout, que voulez vous ? » explose une manifestante en blouse blanche. Elle connaît bien Jobvitae, nous lit régulièrement, et regrette que « personne en dehors de vous ne parle de nous, sauf quand il y a des suicides, et puis les médias s’en lassent aussi vite qu’ils s’y sont intéressés. Quand il y a 11 manif denfertdes morts c’est croustillant, on fait deux trois articles, un ou deux reportages et puis c’est tout, on nous oublie aussi sec. Je me suis amusée justement à recompter le nombre d’articles que vous aviez publiés sur votre blog qui parlaient du malaise des blouses blanches, des grèves des médecins, du mal de vivre des infirmières, etc etc… vous savez combien j’en ai compté ? 49 articles en 4 ans ! Sur les difficultés des étudiants en médecine, des médecins, des infirmiers, des personnels soignants, des pharmaciens, des sages femmes, la violence à l’hôpital, l’absentéisme, le burn out… cela fait des années que tous les signaux sont au rouge et que fait notre tutelle ? Réforme sur réforme pour nous assassiner un peu plus à chaque fois, la torture à petit feu. On n’en peu plus ». Elle se met à pleurer.

 

Un autre manifestant, médecin, dénonce « l’épuisement professionnel et la course à la rentabilité ». Nathalie Depoire, présidente de la CNI, la Coordination Nationale Infirmière, confirme : « Nous devons considérer nos patients comme des clients, c’est peut-être notre plus grande souffrance au travail, ne pas pouvoir prodiguer des soins de qualité parce que nous sommes enfermés dans une course à la rentabilité. Nous, représentants du personnel, nous sommes débordés par les appels de collègues en détresse qui viennent craquer dans nos bureaux parce qu’on leur demande de but en blanc de changer de service pour compenser les absences des collègues déprimés. Par exemple une collègue qu’on envoie en cancérologie alors qu’elle est depuis dix ans en cardiologie. Donc on la jette en cancéro alors qu’elle n’en a jamais fait de toute sa carrière, elle se retrouve devant une question4 de patient à laquelle elle ne sait pas répondre, elle a des inquiétudes sur les traitements, des interrogations, elle engage sa responsabilité professionnelle et fait prendre des risques à son patient, et on la retrouve en larmes dans notre bureau. Cet été 5 infirmières se sont suicidées parce qu’elles ne supportaient pas ces conditions de travail. Il y a un moment où le danger est tel qu’on doit remplir une certaine mission d’alerte, aujourd’hui le risque il est majeur, on est sur un fil, et ce qui est terrible c’est que nous sommes tous entrés dans ces professions par passion, par vocation, parce que c’était une richesse, parce que c’était valorisant pour nous professionnellement de pouvoir venir en aide à nos malades et les soulager, leur sauver la vie. Aujourd’hui nos conditions de travail ne nous permettre plus cela, parce que nous sommes nous-mêmes en risques psycho sociaux, nous avons le sentiment d’être des pions sur un échiquier, d’être des machines à soigner ».

 

 

Marie MEHAULT