Tiers-payant : ce qui change à partir de juillet 2015

16 juillet 2015 Economie Marie MEHAULT
Temps de lecture : 5 minutes

12Et voilà, c’est fait ! Depuis le 1er juillet 2015, le tiers payant est entré dans la phase concrète de sa généralisation, prévue pour 2017. Depuis quinze jours déjà, donc, la mesure est étendue aux bénéficiaires de l’Aide à la Complémentaire Santé, l’ACS, une aide pour les personnes modestes. En France, un peu moins d’un million et demi de personnes en bénéficient. C’est peu, mais bien sûr, cela aura suffit à jeter à nouveau de l’huile sur le feu dans le combat qui oppose depuis de longs mois la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et les médecins. Ces derniers ont d’ailleurs appelé à la « désobéissance civile », pour protester contre cette première mise en œuvre de la mesure, début juillet.

 

2Revenons un peu plus en détail sur ces changements, intervenus au début des vacances d’été. Qui sont ces nouveaux bénéficiaires du tiers-payant, qui n’y avaient jusque là pas droit ? Les bénéficiaire de l’ACS sont des personnes dont les revenus mensuels sont compris entre 720 et 973 euros, c’est-à-dire considérés comme trop élevés pour pouvoir prétendre à la Couverture Maladie Universelle (CMU), et néanmoins suffisamment faibles pour pouvoir toucher ce petit coup de pouce de l’Aide à la Complémentaire Santé. Ils font donc partie de ce que certains ont surnommés le « premier étage de la fusée tiers payant généralisé », puisqu’ils font malgré tout partie des Français qui ont le plus de difficultés à payer leurs dépenses de santé. Depuis le 1er juillet 2015, ils peuvent donc souscrire à de nouveaux contrats réglementés qui leur permettront d’exiger de leurs médecins une dispense complète d’avance des frais, lors d’une consultation ou d’un examen, par exemple. La différence avec avant ? Jusqu’à présent, les bénéficiaires de l’ACS n’avaient pas à avancer la part remboursée par la sécurité sociale, mais ils devaient s’acquitter de tous les dépassements. Désormais, ils n’auront plus non plus besoin d’avancer la somme remboursée par leur complémentaire santé : ce sont les médecins qui leur feront, en quelque sorte, crédit de cet argent, avant d’être directement remboursés par les dix complémentaires concernées par l’ACS. *

 

5Une « injonction politique sans garanties, ni moyens », selon le syndicat MG France, tandis que la CSMF (Confédération des Syndicats Médicaux Français) appelle carrément au boycott de cette première mise en application de la généralisation du tiers-payant : « La généralisation du tiers payant va poser d’immenses problèmes aux médecins libéraux, qui vont voir peser sur leur trésorerie des risques financiers importants, à cause des délais de paiement qui vont être générés par un remboursement direct des complémentaires aux praticiens, des risques de pertes financières conséquentes à cause de toutes les situations où les patients auront perdu leurs droits à l’ACS mais, sans le savoir, nous ferons réaliser des actes pour lesquels nous ne seront finalement pas remboursés, et enfin, un risque de surcharge administrative qui va nous étrangler, parce que cela suppose une gestion du recouvrement et un suivi des paiements à temps plein. Aujourd’hui, on parle d’un million et demi de personnes, affiliées à une dizaine de complémentaires santé, et on sent déjà que cela ne va pas être gérable, dans nos cabinets. Que se passera-t-il, en 2017, quand ce sont 65 millions de gens qui seront concernés, et plus de 400 complémentaires avec lesquelles nous devrons batailler ? C’est une usine à gaz très angoissante, pour tous les médecins ». 

 

3Des médecins qui, pour certains, gagnent effectivement très bien leur vie et peuvent éventuellement se permettre d’avancer ainsi des sommes importantes, cumulées sur une journée, une semaine ou un mois de consultations, mais qui, pour d’autres, et ils sont beaucoup plus nombreux qu’on le pense, gagnent tout juste de quoi se payer et faire tourner leur cabinet. Pour ceux là, une avance de trésorerie systématique en attendant le remboursement des complémentaires, risque d’être douloureuse, voire fatale. Alors même que ce sont souvent ceux là qui exercent en milieu rural, avec de petits revenus et une patientèle moins aisée, qui dépend beaucoup de la CMU et de l’ACS. Des campagnes où justement, déjà, on crie au désert médical, et où de moins en moins de jeunes médecins veulent venir s’installer, malgré toutes les incitations des pouvoirs publics. « Dans notre commune, nous sommes seulement douze médecins, alors qu’il en faudrait au moins quinze pour répondre à la demande », explique un généraliste de Pont-Audemer, en Haute-Normandie. « Ici, nous facturons nos consultations un minimum, sans dépassements excessifs, car sinon les gens ne viennent plus. Pour gagner notre vie correctement, et je dis bien correctement, sans plus, nous devons faire vingt consultations par jour, et c’est un minimum. Or, nous passons déjà pas mal de temps sur la route, car dans les campagnes, il y a beaucoup de visites à domicile, pour les personnes âgées, comme en ce moment, avec la canicule. Avec la généralisation du tiers payant, nous passerons au moins deux heures par jour à faire de l’administratif. Je ne sais pas comment ce sera possible, à moins de faire des journées de 15 heures… ».

 

4Les associations de patients, elles, sont a contrario ravies de l’avancement du projet, même si cette application au 1er juillet aux bénéficiaires de l’ACS ne représente que peu de choses par rapport à ce qui va suivre, et qui concernera la population française dans son intégralité. Ainsi, explique Claude Rambaud, présidente du CISS (Collectif Interassociatif Sur la Santé), cette première extension du tiers-payant « répond à un besoin important des patients, qui pour certains, ne peuvent même plus se permettre d’attendre leurs remboursements de soins, parce que cela leur génère des agios à la banque entre le moment où ils ont payé et le moment où leur complémentaire leur restitue l’argent. Résultat : ils ne se soignent plus. C’est un modèle de société injuste. Nous réclamons la généralisation du tiers payant depuis très longtemps, car c’est un progrès évident, pour toute la société ».

 

 

Marie MEHAULT